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qu’il a le droit de démontrer à chaque fils que sa mère est indigne de son respect. Il y a là une obligation de réserve que tous les peuples non corrompus comprennent d’eux-mêmes. C’est ainsi qu’on voit les Arabes s’incliner devant la manifestation d’une croyance religieuse qu’ils ne partagent pas. Les sceptiques de nos jours ont au moins cet avantage sur ceux du XVIIIe siècle, qu’ils sentent au fond de leur conscience une voix qui leur dit que, toutes qualités égales d’ailleurs, celui qui croit sincèrement, qui pratique sa religion sans amertume et sans haine contre son prochain, vaut mieux que celui qui ne croit pas, et doit être, sinon envié, au moins respecté dans sa foi.

Nous avons déjà vu Beaumarchais lui-même, en demandant très sérieusement et très convenablement des messes pour sa femme, sa fille, sa sœur et les fidèles de son quartier, donner l’exemple de ce genre de respect que le scepticisme doit à la religion. On ne peut donc s’expliquer cet écart de sa vieillesse qu’en l’attribuant à un accès d’irritation. Désapprouvé par Mme  de Beaumarchais, l’auteur du Mariage de Figaro n’eût sans doute jamais écrit ces deux lettres malencontreuses, si sa sœur Julie, qui était très pieuse, et qui avait une certaine influence sur lui, ne fût morte un an auparavant[1]. Le résultat de ces deux lettres sur Voltaire et Jésus-Christ, publiées en avril 1799, constate d’ailleurs un progrès déjà notable dans l’esprit du temps. On sent que le XVIIIe siècle s’en va, et qu’on est à la veille du grand succès du Génie du Christianisme. Parmi les voltairiens qui applaudissaient ces lettres, quelques-uns refusèrent de les insérer dans leurs journaux. Un homme très grave, un économiste célèbre, un ancien membre de la première constituante, Dupont de Nemours, depuis conseiller d’état sous la restauration et membre

  1. Nous aurions bien désiré laisser dans l’oubli quelques lettres de Beaumarchais d’un autre genre et non moins blâmables. Malheureusement ces lettres existent dans un dépôt public, et il en a déjà été parlé de manière à nous obliger d’en dire un mot pour atténuer un peu les conséquences qu’on en pourrait tirer. Il paraît que le British Musæum à Londres possède quelques billets très cyniques écrits par l’auteur du Mariage de Figaro dans sa vieillesse à une femme, et dont on nous a communiqué un résumé. Ces billets faisaient partie d’un paquet de lettres que la famille de Beaumarchais avait rachetées et croyait avoir entièrement détruites ; mais, comme il arrive souvent en pareille circonstance, le vendeur de ces lettres en avait gardé quelques-unes, qui, en passant de main en main, ont fini par se trouver déposées comme des documens précieux au British Musæum. Si cet établissement aime les autographes de Beaumarchais, on pourrait, en échange des billets orduriers et d’ailleurs très peu spirituels qu’il possède, lui en fournir de beaucoup plus intéressans et de beaucoup plus dignes d’être conservés. Cependant, puisque les premiers existent encore et ont été lus par un assez grand nombre de personnes, il faut dire ici qu’on se tromperait si l’on croyait y trouver la preuve que Beaumarchais, même dans sa vieillesse et au milieu des chagrins qui l’accablent, formait des liaisons indignes de lui. La personne à qui ont été adressés ces billets était une personne