— Ainsi nul ne sera accepte s’il n’a rempli la condition ? fit observer Ulrich, et le cousin Hans lui-même…
— Hans ne demande rien, interrompit brusquement la grand’-mère ; Hans est à son devoir. La bonne occasion viendra un jour pour lui, et alors sa balle saura suivre le droit chemin. En attendant, il s’occupe de nous nourrir.
— Et vous pouvez ajouter que c’est une préférence qu’il obtient contre toute justice, fit observer Ulrich vivement, car moi aussi j’avais droit de faire accepter…
— Rien, acheva la vieille femme. Les Hauser ont toujours vécu de la montagne ; le neveu Hans et l’oncle Job y récoltent pour nous, et leur moisson suffit.
Comme elle achevait ces mots, on entendit dans le sentier raviné qui conduisait à la cabane le cliquetis des caillous roulant, sous un pas précipité. Fréneli redressa la tête, prêta l’oreille et dit : — C’est lui !
Presque au même instant la porte fut rudement repoussée en dedans, et Hans franchit le seuil. Il portait le costume complet des chasseurs de chamois : veste et pantalon de drap montrant les nombreuses cicatrices du temps, gros souliers recouverts de guêtres de cuir qu’avaient frangées les glaçons, chapeau de feutre rougi par la pluie. À son côté pendait la hache destinée à lui ouvrir un chemin sur les pics neigeux, le maillet avec lequel il forçait la charge de sa carabine, et la cartouchière de cuir renfermant ses munitions ; un grand sac de toile rousse, roulé en bandoulière, passait sur son épaule gauche.
Il était entré comme un orage, et venait de s’arrêter au milieu de la cabane en laissant tomber lourdement la crosse de son fusil contre le sol. Mère Trina reconnut au premier coup d’œil que la chasse avait été malheureuse. Sans dire un mot, elle fit signe à Fréneli de ranimer le feu, et elle-même alla vers un petit buffet où elle prit tout ce qu’il fallait pour mettre le couvert. Ce fut alors seulement que le chasseur aperçut Ulrich.
— Dieu te garde, Hans ! dit ce dernier en faisant un pas à sa rencontre.
Le cousin ne répondit pas ; mais son regard se porta rapidement vers Fréneli, dont il surprit les yeux attachés sur le jeune sculpteur. Il s’approcha du foyer sans rien dire, accrocha sa carabine au mur, et, s’asseyant sur le billot qui occupait le coin de l’âtre, il étendit devant la flamme ravivée ses pieds ouverts de givre. Bien qu’habitué à sa morosité silencieuse, Ulrich en parut cette fois un peu surpris ; il alla se placer de l’autre côté de l’âtre, les bras croisés et l’épaule appuyée au mur.