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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/748

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sorte de fièvre agressive, comme devant l’ennemi ; on entend sonner au dedans de soi toutes les fanfares de la vie, et mille voix intérieures crient à la fois : — Allons !

Saisi par cette espèce d’enivrement, le jeune sculpteur hâta le pas et s’engagea dans les sentiers hasardeux suspendus au premier contrefort. Les chalets d’été, dispersés aux étages inférieurs, étaient ensevelis sous un linceul de neige qu’ils bosselaient à peine çà et là ; on n’apercevait que quelques sapins rabougris et quelques touffes de buis nain qui perçaient le terrain aride, bientôt même ils disparurent, et on ne vit plus que la roche nue, tigrée par les traînées de givre. Ulrich atteignit enfin le couloir indiqué par l’oncle Job. C’était une profonde brèche taillée dans le roc, et où ne pénétrait jamais le soleil. Il allait s’y engager, quand une ombre se dressa tout à coup à l’entrée assombrie, et il reconnut son cousin Hans.

Le chasseur de chamois portait le même costume que la veille. Il avait le fusil suspendu à l’épaule par une courroie, et les deux mains appuyées à un bâton ferré. Son visage était encore plus sombre que d’habitude. Il gardait le défilé par lequel devait passer Ulrich. À sa vue, celui-ci s’était arrêté avec une exclamation de surprise.

— Toi ici, Hans ! s’écria-t-il ; Dieu nous aide ! par où es-tu arrivé ?

— N’y a-t-il donc qu’un sentier dans la Wengern-Alpp ? demanda le chasseur froidement.

— Et que faisais-tu là ?

— Je t’ai vu venir, je t’attendais.

— Tu avais quelque chose à me dire ?

— Ne vas-tu pas à la recherche des chamois que l’oncle Job a aperçus hier ?

— Sans doute.

— Tu ne les trouveras plus ; je viens de visiter leurs pistes, elles sont tournées vers les glaciers.

— Eh bien ! je les suivrai dans cette direction.

— Tu y es décidé ?

— Pourquoi non ?

— Alors nous chasserons ensemble, dit Hans, qui souleva son bâton comme s’il eût voulu se remettre en route. C’était la première fois qu’Ulrich recevait de son cousin une semblable proposition. Il jeta sur lui un regard étonné que Hans comprit

— Crains-tu ma compagnie ? demanda-t-il brusquement au jeune sculpteur.

— Pourquoi la craindrais-je ? répliqua celui-ci.

— Qui sait ? reprit Hans ; peut-être as-tu peur qu’il ne faille me suivre trop haut et trop loin ?

— Sur ma vie, je n’y ai point songé, répondit Ulrich avec un peu