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vont guère à l’église que pour y pleurer les plaisirs et les joies de e monde. Les peuples du Midi, au contraire, et particulièrement les Italiens, considèrent le temple comme un lieu consacré au culte des sentimens aimables, et ils s’y rendent pour remercier la Providence de les avoir fait naître sur une terre ornée des plus divins trésors. Ils sont heureux de vivre, et c’est pourquoi ils offrent à l’auteur de toutes choses un cœur rempli de concerts et de bénédictions. Aussi la musique religieuse qu’on exécutait à la chapelle de Padoue n’avait-elle rien de la gravité touchante qui caractérise les admirables compositions de Palestrina et celles de l’école romaine en général; cela ressemblait un peu trop au style souriant et maniéré des tableaux de Tiepolo, qui sont en très grand nombre dans l’église de Saint-Antoine.

C’était pendant la foire qui a lieu dans le mois de juin que Zeno et sa suite s’étaient rendus à Padoue, époque brillante où cette grande ville, ordinairement silencieuse, était remplie d’étrangers et surtout de Vénitiens qui venaient prendre part aux fêtes qui s’y donnaient pendant trois semaines. Le théâtre de Padoue était alors desservi par les plus célèbres virtuoses de l’Italie, qu’on y faisait venir à grands frais, et la chapelle déployait toutes ses pompes pour célébrer dignement la fête de son patron. Le jour où l’abbé Zamaria, le sénateur Zeno et le reste de la compagnie allèrent à l’église Saint-Antoine, tous les musiciens de la chapelle, sous la direction du père Valotti, élève et successeur de Tartini, étaient réunis pour contribuer à l’éclat de l’office divin. Après un prélude sur les quatre grandes orgues, qui se répondirent en variant successivement le même thème, emprunté à une mélodie de plain-chant, on exécuta une messe avec accompagnement d’orchestre de la composition du père Valotti. Cette messe, d’un style un peu trop fleuri, n’était pas dépourvue de mérite, et se rapprochait beaucoup du style de la musique religieuse de Jomelli. Au milieu de la cérémonie, et après un chœur à quatre parties dont l’effet avait paru agréable, on vit apparaître à la tribune de l’une des orgues le violoniste Pasqualini, qui venait jouer une sonate di chiesa. Pasqualini était un gros homme d’une cinquantaine d’années, d’une taille ramassée, d’une figure joviale, qui reluisait sous sa large perruque poudrée à frimas comme lui de ces mascarons grimaçans dont se sert l’architecture pour varier la nudité des lignes. Pasqualini se mit en mesure d’attaquer son andante religioso avec l’emphase d’un buffo caricato. Lorsqu’il fut arrivé à la partie brillante de son morceau où se trouvaient condensés tous les artifices du violon, les staccati, les effets de doubles cordes et les arpèges les plus étendus, Pasqualini se démenait comme un diable dans un bénitier, et à, chaque coup d’archet qu’il donnait il s’échappait de sa perruque un nuage de poussière qui allait