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LES SOLDATS




PREMIERE PARTIE.




I

Endurcis à la marche et légers de bagages,
Au retour d’un congé passé dans leurs villages,
Un jour, trois fantassins du même régiment
Par un triste pays cheminaient bravement
Rappelés au drapeau de la France héroïque,
Ils devaient, avant peu, s’embarquer pour l’Afrique.
Une étroite amitié, qui datait du berceau,
Les unit de tout temps. L’un, nommé Jean Rousseau,
Était un compagnon à mine haute et fière,
Un beau jeune homme, ardent à toute œuvre guerrière,
Cœur de flamme en un corps de granit ou d’airain.
L’autre était ce qu’on nomme un joyeux pèlerin,
Un de ces héritiers de la gaîté gauloise
Qu’on reconnaît partout à leur face narquoise,
Qui, du plus dur métier sachant se faire un jeu,
Sous les pesans fardeaux, sous les soleils de feu,
Marchent allègrement, qui sèment à la ronde
L’épigramme et l’oubli des misères du monde,
Qui passent dans la mort comme l’oiseau dans l’air,
En chantant leur chanson ; il avait nom Muller.
Enfin Pierre Cléry, — c’est le nom du troisième, —
Jouvenceau frêle et blond, semblait la candeur même.
Aux propos de Muller, à ses plus joyeux traits,
Il répondait souvent par des regards distraits.