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II


Et, pénétrant alors dans les sombres taillis.
Ils virent, près d’un tas de rameaux recueillis,
Svelte et blonde, une fille au vêtement agreste,
Une rare beauté, d’origine modeste,
Qui nouait son fagot, et, par ce rude temps,
Fredonnait sa chanson de fauvette au printemps.

— Serait-ce quelque reine habillée en bergère ?
Fit Rousseau. N’allons point agir à la légère !

Et les trois compagnons d’avancer pas à pas.
Elle les aperçut, et ne s’en émut pas.

Muller, prenant alors une pose ingénue :
— Puis-je vous demander, jeune et belle inconnue,
Dit-il, si nous touchons à Saint-Denis-des-Bois,
Où nous comptions, ce soir, nous remiser tous trois ?

— Plaisantez-vous ? répond la jeune voix sonore.
Pour l’atteindre, il vous faut toute la nuit encore.

— En ce cas, dit Muller, souffrez qu’en ce beau lieu
Nous campions cette nuit, à la grâce de Dieu !

— Oh ! vous accepterez un abri moins sauvage,
Reprend la jeune fille au souriant visage
On ne vous offre, hélas ! ni fortuné séjour,
Ni repas copieux ; mais si le pain du jour,
Si la place au foyer dans une maison close,
Si le lit un peu dur où pourtant on repose,
Vous semblent, cette nuit, un lot plus gracieux
Qu’un bivac dans les bois, à tous les vents des cieux,
Vous n’avez qu’à me suivre !…

Et, posant sur sa tête
Son fagot de bois mort glané dans la tempête,
Elle prend les devans, et les trois compagnons,
Sans se faire prier, suivent ses pieds mignons.

À travers les replis du touffu labyrinthe.
Légère, elle passait, elle y plongeait sans crainte ;
Comme un daim familier aux plus secrets détours,
Rasant le sol à peine, elle avançait toujours.
Et le trio d’aller. Séduit par tant de grâce,
Jusques au bout du monde il eût suivi sa trace.


III


Vers les confins du bois, une étroite maison
S’élevait, regardant un moins triste horizon.