Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/807

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans se briser, n’ont été, suivant leurs récits, que d’intéressans ou dangereux épisodes, des conceptions prématurées qu’inspirait, la méditation chimérique ou le ressentiment passionné, — et, quelque sympathie qu’on porte à certains hommes ou à certaines institutions, il faut condamner sans merci, tout au plus plaindre sans les grandir, ceux qui par de précoces entreprises ont risqué de compromettre ou d’entraver la véritable œuvre nationale, c’est-à-dire la formation d’une matière sociale similaire et malléable dans toutes ses parties. La guerre, la législation, la littérature, l’esprit des cours, des villes, des campagnes, tout a tendu à une seule chose : l’égalité. Ce n’est qu’après avoir obtenu ce résultat du vaste et durable concours de toutes ses forces, que la société, sûre d’elle-même, pouvait entreprendre de se constituer politiquement selon sa raison, et de garantir sa liberté par un gouvernement de son choix. Ce n’est qu’à un certain jour de maturité que la révolution de 1789 a été possible et nécessaire. Ceux en effet dont j’interprète ici les idées ne repoussent pas pour leur compte la politique constitutionnelle, seulement ils en reculent le triomphe des premiers jours de notre histoire aux derniers du XVIIIe siècle. Ils consentent pour nos pères à une longue et oppressive minorité, pourvu que l’émancipation se soit faite de nos jours. Or il reste à savoir si ces distinctions sont bien prudentes, si ce partage entre les époques est ratifié par les événemens, si une émancipation tant retardée peut un jour devenir subitement heureuse et praticable. À juger d’après les événemens, on en pourrait douter.

Qu’au nom de la philosophie de l’histoire ou de la politique pratique on fasse un choix parmi les choses justes et raisonnables, parmi les progrès utiles que peut désirer une nation ; que l’on distingue ce qui dans un temps avait le plus de chances de se réaliser et ce qui en avait le moins ; que voyant les circonstances ici favorables, là contraires à des vœux également légitimes, on montre comment parmi ces vœux les uns devaient s’accomplir avec éclat et les autres tristement échouer, la tâche est permise assurément, encore que médiocrement difficile à remplir après l’événement : car rien n’est aisé comme d’établir que ce qui est arrivé devait arriver et même ne pouvait arriver autrement. Mais cet optimisme des faits accomplis renonce à juger les choses pour les expliquer, et court risque d’asservir à une prédestination ex post facto tout le train des affaires humaines. On oublie que ni les hommes ni les événemens ne sont donnés avant que les uns aient agi, avant que les autres aient eu lieu. Préalablement à tout acte, hommes et événemens, tout est libre encore ; ce qui a été devient nécessaire, pour avoir été seulement, non pas avant d’être. Le probable même est encore loin du nécessaire. Il y avait fort à parier que Charles IX ou Henri III se