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C’est dans le même ordre d’idées que rentrent les dernières poésies de M. Mathieu Ban. On sait que la poésie actuelle des Serbes relève de deux tendances distinctes, de deux traditions également respectées, quoique différentes. Pendant que les uns cherchent, des modèles dans les chants populaires et les rapsodies auxquelles il n’a peut-être manqué que l’empreinte de l’unité pour former de magnifiques poèmes épiques, les autres s’inspirent surtout des exemples classiques de la littérature ragusaine. Puisant à ces deux sources d’inspiration, toutes les deux nationales, M. Ban a essayé de revêtir d’une forme classique et pure des sentimens empruntés à la vie héroïque des anciens Serbes. Par cet effort, M. Ban se rapproche visiblement de la poésie européenne, et il est impossible de ne point remarquer dans les allures de sa pensée un degré de parenté avec les poètes slaves contemporains qui ont subi l’influence de Byron : Pouchkine en Russie et M. Mickiewicz en Pologne. Il se distingue toutefois de Byron et de Pouchkine, comme M. Mickiewicz lui-même, par une foi profonde. La Foi et non le Doute, tel est le titre de l’une des plus remarquables poésies de son dernier recueil[1], tel est aussi le cri qui répond aux sentiment des Serbes. On ne peut qu’y applaudir, lorsque l’on désire voir l’œuvre de régénération commencée chez ce petit peuple arriver à bonne fin : le doute a-t-il jamais rien fondé ?

Le mouvement intellectuel et politique des Serbes n’a pu encore se communiquer d’une manière sensible aux provinces de Bosnie et de Bulgarie. La Bosnie, à peine soustraite au joug intraitable d’une aristocratie que les Turcs ne sont pas parvenus sans peine à détruire, et qui a jusqu’au moment de sa destruction empêché tout travail intellectuel de se produire, n’est pas en mesure de rivaliser avec la Serbie. Ce n’est pas que les Bosniaques soient moins bien doués que les autres Slaves. Le clergé catholique brille en Bosnie autant par ses lumières que par ses vertus ; il possède une instruction solide et étendue ; malheureusement il est absorbé par les devoirs de son ministère religieux et par le soin des affaires temporelles, dont il est chargé comme représentant au civil les populations catholiques devant l’autorité ottomane. Les prêtres bosniaques publient chaque année un annuaire historique et statistique écrit en bon latin[2] ; mais qu’on juge de la pénurie des moyens d’action dont ils disposent : cet écrit est imprimé à Pesth en Hongrie, car il n’existe pas, quant à présent, une seule imprimerie dans la province. Ne désespérons pas pourtant des Bosniaques. L’introduction du tanzimat, sans leur donner tout ce qu’ils se croyaient en droit d’attendre, a ouvert le pays aux améliorations, et appelé sur cette contrée si longtemps délaissée l’attention de l’Europe. La sagesse dont les populations grecques ou catholiques de cette province ont fait preuve dans les derniers événemens atteste qu’elles suivent les voies. Indiquées par la modération et la prudence, dans lesquelles les Serbes les ont devancées.

Quant à la Bulgarie, l’attitude qu’elle garde aujourd’hui au bruit du canon qui retentit sur le Danube prouve assez qu’elle n’est pas plus impatiente que la Bosnie et la Serbie de tenter la fortune. Elle a cependant beaucoup

  1. Razlitchné Piesne, Belgrade, 1853.
  2. Schematismus almoe provincioe Bosnioe argentina.