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convenable à son état ; mais ni les sciences ni la lecture ne lui firent rien perdre de ce qu’elle avoit de naturel. » Toutes ces qualités paraissent dans le petit écrit que l’aimable religieuse composa sur la politesse[1], en réponse à une de ces questions qui s’agitaient alors dans les cercles précieux, et qui ont inspiré à la Palatine, Anne de Gonzague, cette défense de l’espérance[2], les seules pages qui soient restées d’elle. On peut dire que l’écrit de Mme de Fontevrault n’est pas seulement un traité, mais un modèle de politesse. C’est tout à fait la manière de Mme de Sablé ; tout y est marqué au coin de la raison, et respire une simplicité du meilleur goût. Sa correspondance a le même caractère ; on en pourra juger par quelques fragmens.

Mme de Fontevrault n’était pas devenue janséniste malgré ses relations avec Mme de Sablé, mais on lui en avait fait un peu la réputation à l’Abbaye-aux-Bois, elle-même nous l’apprend dans une lettre adressée à une religieuse de ce monastère.


« À Fontevrault, ce 16 mars 1679[3].

« … Je suis très aise que madame (la prieure de l’Abbaye-aux-Bois) parle de moi avec amitié ; mais assurément elle se trompe de me croire janséniste. Pour la doctrine qu’on leur impute, je ne l’ai pas ; mais il est vrai que les livres de ces messieurs me paroissent au-dessus de tout ce qu’on peut lire en notre langue, et que la morale qui y est enseignée, quoique très rude à la nature, ne laisse pas de me plaire, parce qu’elle est conforme à la seule et véritable règle, qui est l’Evangile. Voilà ma profession de foi en raccourci. Je ne m’estonne pas qu’elle soit un peu suspecte chez vous, puisque les gens qui y gouvernent, ne me croyant pas de leur caballe, seroient bien aises de faire croire que je suis aussi séparée de l’église que de leur empire. Comme leurs jugemens ne sont pas ceux de Dieu, je me console, et je suis mesme assurée que dès ce monde les vrais honnestes gens me feront justice. Vous serez peut-estre ennuyée, ma chère sœur, d’un aussi grand prône que celui-là ; mais comme je n’ai nulle nouvelle à vous mander et que je suis bien aise de vous escrire, je me suis estendue sur la première chose qui m’est tombée dans l’esprit… »


L’avantage des lettres intimes est qu’au milieu de bien des détails inutiles, elles nous instruisent d’une foule de choses qui ne sont point passées dans l’histoire, et qui méritent d’être sues. Nous ignorions, par exemple, que l’abbesse de Fontevrault avait eu à se plaindre de sa sœur, Mme de Thianges, et que celle-ci avait fini par devenir fort dévote, et par suivre les exemples et les conseils de Mme Sablé et de ce Tréville, l’Arsène, dit-on, des Caractères de La

  1. Recueil de divers écrits (par Saint-Hyacinthe), Bruxelles, 1736, p. 85.
  2. On la trouvera dans Mme de Sévigné, édition de Monmerqué, t. II, p. 344.
  3. Tome VII, p. 422 et suivantes.