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consulaire, qui, en raffermissant l’ordre social par la main d’un homme nouveau, avait enlevé aux adversaires de la révolution française les seules espérances qui leur restassent alors. Si l’empire n’avait été que le consulat continué, avec un gage de sécurité de plus ; si, prenant dès l’abord au sérieux ces limites du Rhin aux Alpes où l’univers vaincu consentait, en 1802, à encadrer l’incomparable grandeur de la France, il n’avait pas manifesté l’intention de dépasser ce cercle tracé par une héroïque épée, la nouvelle monarchie n’aurait pas été moins sincèrement acceptée par les cabinets qu’elle ne l’avait été par la France. Les gouvernemens étrangers avaient compris, et tous les documens le constatent, qu’en ce temps-là Napoléon était seul en mesure d’achever la restauration de la société en France, et de garantir ainsi la stabilité de l’ordre européen. Dans l’évidente impossibilité d’obtenir ce résultat par une autre dynastie, l’adoption de la monarchie impériale aurait donc été universellement envisagée comme une dernière victoire remportée sur la révolution, si toutes les cours n’avaient pressenti dès lors ce qu’on prenait d’ailleurs fort peu de précaution pour cacher.

En dehors d’un patriotisme qui cesserait d’être légitime, s’il conduisait à abjurer la justice, jugeons donc la situation d’autrui comme nous voudrions qu’on jugeât la nôtre. Pouvait-on considérer à Vienne comme une conséquence du traité de Lunéville que le prince couronné à Notre-Dame partit trois mois après pour aller se faire sacrer roi d’Italie à Milan ? Était-il possible de croire au droit des gens, lorsque Gênes était réuni à l’empire comme l’avait été le Piémont, et que l’empereur commençait à dépecer l’Italie, afin d’y trouver des dotations pour tous ses proches ? La Prusse avant Iéna, la Russie avant Friedland, pouvaient-elles sans résistance, ou du moins sans une émotion profonde, entendre annoncer solennellement que la maison de Naples avait cessé de régner, ou que la Dalmatie était réunie à l’empire ? N’était-il pas naturel que l’Angleterre versât jusqu’à la dernière goutte de son sang pour résister à une puissance qui prétendait dominer l’Europe du golfe de Tarante au golfe de Lyon, et qui s’emparait de toutes les ressources de la Hollande pour soutenir une guerre dont le résultat certain pour ce malheureux pays était l’anéantissement de ses richesses et de sa puissance maritime ? La réunion de la Hollande à la France, prononcée en 1810, n’ajouta rien en effet à la dépendance dans laquelle l’empire tenait, dès son avènement, toutes les forces de cette contrée. Or la paix maritime était-elle vraiment possible à de telles conditions ? Lorsque la France exerçait une action quelquefois détestée, quoique toujours obéie, à Madrid comme à Naples, à Berne comme à Amsterdam ; qu’au midi elle contraignait le roi d’Espagne de faire la guerre à ses enfans en