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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/932

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n’eut plus pour principe que la conquête et pour instrument que l’armée, la force des choses conduisit à ne plus développer dans la nation que l’instinct militaire : on fut amené à considérer d’abord comme inutiles, et bientôt après comme dangereuses, les dispositions de nature à contrarier cette discipline des esprits, condition fondamentale d’un régime qui faisait du peuple français le bras glorieux, mais passif, de son chef.

La restauration consulaire s’était proposé, nous l’avons vu, de réhabiliter toutes les forces morales proscrites ou comprimées par le sanglant despotisme de la révolution. La pensée avait été rétablie dans sa dignité par des institutions constitutionnelles que l’on croyait alors de très bonne foi les plus parfaites possible. Si la religion avait été relevée par la main d’un grand homme, c’était sans rien perdre dans ses nouveaux rapporta avec l’état de cette sainte indépendance à laquelle on ne saurait attenter sans outrager la grandeur de Dieu et la sainteté de la conscience humaine. Napoléon aurait aimé à conserver à l’empire le concours de toutes les forces qui avaient formé la radieuse auréole du consulat, et durant tout le cours de son règne, il y aurait à signaler un contraste constant entre les efforts personnels du prince pour féconder la pensée et l’effet des institutions qui la flétrissaient à ses sources. Lorsque l’assistance des grands corps de l’état n’était plus réclamée que pour légaliser les conscriptions annuelles qui, avec les Te Deum commandés aux évêques, étaient les résultats de nos victoires, une grande déconsidération ne pouvait manquer d’atteindre ces corps eux-mêmes, et la conséquence la plus certaine, quoique la moins soupçonnée, de cet abaissement, fut de leur inspirer la tentation d’y échapper aux dépens du gouvernement qui le leur avait préparé. Les trahisons de 1814 sont sorties des complaisances et des flatteries de 1812. L’on a recueilli l’ingratitude pour avoir semé la servilité, et en donnant à certains hommes du bien-être sans dignité, on leur a suggéré la pensée de renier le bienfaiteur pour mieux conserver ses bienfaits.

Ce n’étaient pas seulement les corps constitués et l’administration publique tout entière qui se trouvaient sacrifiés au développement anormal de l’élément militaire : toutes les jeunes générations étaient jetées en masse dans un moule où l’on entrait citoyen pour en sortir soldat. L’abdication de toute inspiration personnelle était la première condition de succès pour l’œuvre immense qui embrassait le monde, mais à laquelle la France participait alors par ses sacrifices plus que par sa volonté. L’université impériale reçut mission de faire passer toutes les classes de la société, si diverses que fussent leurs habitudes et leurs croyances, sous le niveau d’une discipline commune, et de même que l’empereur imposait à la nation sa pensée