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et d’Anne de Bretagne, « madame Claude, laquelle fut très bonne et charitable, et douce à tout le monde, et ne fit jamais déplaisir à aucun de sa cour ni de son royaume. » Cette princesse, que son époux rendit si malheureuse, avait apporté une bien belle dot à la France : « les deux plus belles duchés de la chrestienté, dit Brantôme, qui estoient Milan et Bretaigne, l’une venant du père, l’autre de la mère ! Quel héritage, s’il vous plaît ! » C’est encore au château de Saint-Germain que Henri II venait au monde le 31 mars 1518. En 1530, François Ier en sortait pour aller au-devant de ses deux fils, Henri et Charles, qu’il avait donnés en otages à Charles-Quint et rachetés avec l’aide de son allié Henri VIII, roi d’Angleterre. Henri II passa presque toute sa vie au château de Saint-Germain.

Depuis Henri II, Saint-Germain vit naître deux rois de France, Charles IX et Louis XIV ; de remarquables événemens s’y accomplirent et s’y préparèrent encore, mais je m’arrête : c’est le règne de Henri II qui a vu se produire le fait mémorable dont nous avons cherché à réunir ici les particularités éparses dans un grand nombre de mémoires et de chroniques, je veux parler du duel entre les sires de Jarnac et de La Chasteigneraye. Cet événement m’avait toujours paru l’un des épisodes les plus dramatiques du XVIe siècle ; c’est aussi, comme j’aurai à le montrer, un des plus curieux exemples de l’influence exercée sur nos mœurs par ces coutumes chevaleresques dont notre législation a si longtemps gardé les traces. Je vais donc essayer de retracer ce qui se passa à Saint-Germain alors qu’un roi de France permit pour la dernière fois[1] qu’un plaid[2] vint à chéer devant lui, en gage de bataille.


I

Ce fut une bien grande affaire à la cour de Henri II que ce duel à outrance entre deux gentilshommes pleins de valeur, entre deux courtisans accomplis, liés depuis leur enfance par une étroite amitié[3] : c’était une circonstance sans exemple que cette rencontre en

  1. Je ne veux pas que des gens érudits et scrupuleux m’objectent ici que le duel à outrance entre les sires d’Hoguerre et de Feudilles eut lieu deux ans après, sous le règne de Henri, car je répondrais que ce prince avait refusé le camp aux deux adversaires. C’est à Sedan, en dehors de la juridiction royale, que ce combat, fort peu chevaleresque d’ailleurs, se terminait, sans mort d’homme, le 29 août 1549. — Sedan était alors une souveraineté indépendante de la couronne. Depuis le commencement du siècle, la famille de Bouillon en avait fait l’acquisition ; Robert de la Marck, duc de Bouillon, maréchal de France, en était souverain en 1549. Richelieu la réunit à la France.
  2. Anciennement on appelait en France les gages de combat le plaid de l’espée, placitum ensis.
  3. La Chasteigneraye et Jarnac étaient même un lieu païens ; une demoiselle de Jarnac, grand’tante de celui-ci, s’était mariée avec l’aïeul de La Chasteigneraye.