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soldats s’il en fut, et qui devinrent maréchaux de France. On disait dans la prose rimée du temps :

La Casteneraye, Vieilleville et Bourdillon
Sont les trois hardis compaignons.

Cependant il était plus avancé qu’eux, et déjà chamberlan et gentilhomme de la chambre, qu’ils portaient encore le titre d’écuyers. Vivonne s’était fort distingué au camp d’Avignon, et dans la campagne de Piémont il avait été grièvement blessé au bras droit à l’assaut de Coni[1]. Le dauphin, depuis Henri II, qui l’appréciait et l’aimait plus encore peut-être que le roi (car Vivonne était l’un des seigneurs les plus assidus à la cour de Diane), l’avait emmené au ravitaillement de Landrecies et lui avait donné son guidon à porter. La Chasteigneraye le détacha de sa hampe, se le mit bravement en écharpe autour du corps, pour ne point en être embarrassé, « pouvoir mener les mains » et combattre : il fut blessé dans cette affaire, et l’on parla beaucoup de sa vaillance. Il reçut aussi une blessure au ravitaillement de Thérouanne. Suivant les contemporains, La Chasteigneraye passait pour un homme charmant, généreux, serviable, qui se faisait aimer, mais aussi peut-être un peu trop craindre de tout le monde. On lui reprochait en effet d’être trop haut à la main, scallabreux et querelleux. Enfin, pour terminer le portrait, laissons parler son neveu[2], le sire de Brantôme : « Mon oncle, dit-il, estoit fort craint, car il avoit une très bonne et très friande espée. Il estoit extrêmement fort, n’estoit ni trop haut ni trop petit ; il estoit d’une très belle taille, nerveux et peu charnu. Bien estoit-il un peu brunet, mais le teint fort beau, délicat et fort agréable, et pour ce en son temps fust-il bien voulu et aymé de deux très grandes dames de par le monde, que je ne dis. » Pour qu’il pût bien faire fortune, son père, qui l’aimait tendrement, avait l’habitude, dans son enfance, de lui faire prendre avec tout ce qu’il mangeait de la poudre d’or, d’acier et de fer. Ce régime avait été indiqué au sénéchal « par un grand médecin de Naples, quand il y fut avec le roi Charles VIII. »

Tel était l’homme qui figurait en première ligne parmi les compagnons du dauphin Henri. En regard de Vivonne, ce qu’on pouvait appeler, — qu’on nous passe l’expression, — le parti de la duchesse d’Etampes trouvait un zélé défenseur dans Guy Chabot, fils de Charles, seigneur de Jarnac, de Monlieu et de Sainte-Aulaye. Sa

  1. D’un coup d’arquebusade, lorsque l’amiral d’Annebaut l’assiégea.
  2. Une sœur de La Chasteignoraye, Anne de Vivonne, avait épousé François, vicomte de Bourdeille, et en avait eu Pierre de Bourdeille, plus connu sous le nom de Brantôme, né en 1540.