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a récemment déclaré formellement lui-même que la France n’élève pas de prétention à la protection des catholiques romains sujets de la Turquie. Il a fait connaître la déclaration de M. d’Ozerof à ses collègues et à la Porte. La Porte a appris avec un mécontentement non dissimulé cette prétention avouée des Russes à protéger les intérêts religieux de dix ou douze millions de ses sujets[1]. » Le colonel Rose dénonçait lui-même à son gouvernement comme insoutenable cette interprétation du traité de Kainardji. Nous croyons que l’on peut bien apprécier maintenant la position prise dès l’origine par la Russie. Au lieu d’agir par la voie des représentations officieuses et amicales qui lui était seule permise, elle a pris le ton hautain du commandement ; pour justifier ses injonctions, elle a élevé une prétention nouvelle et inadmissible au protectorat religieux de dix ou douze millions de sujets grecs du sultan ; au lieu de coopérer à l’arrangement de la question des lieux-saints, en ne remuant dans cette question locale et religieuse que ce qu’elle contenait, elle l’a fait dévier et bientôt elle l’a fait disparaître sous une question générale bien plus grave, sous la question politique et européenne de l’indépendance de la Porte. On voit qu’il y a eu de sa part dans cette politique un dessein profond et ancien qui s’était laissé pénétrer même avant la mission du prince Menchikof.

Les embarras de la Porte dans cette négociation se conçoivent aisément. L’équité commande de reconnaître avant tout à son avantage que non-seulement ce n’est pas elle qui a soulevé la question des lieux-saints, mais qu’en elle-même cette question purement chrétienne était tout à fait indifférente à un gouvernement musulman. Qu’importait en effet au sultan, à ses ministres, à des mahométans, que la possession de tels ou tels lieux consacrés par les origines du christianisme appartînt à telle ou telle secte chrétienne ? N’est-ce pas le comble de l’injustice de la part de la Russie d’avoir voulu pousser la responsabilité de la Porte, dans une pareille affaire où elle était si désintéressée, jusqu’à ébranler la souveraineté du sultan et attaquer par l’invasion et par la guerre l’existence de la Turquie ? L’impartialité naturelle de la Porte dans un débat entre Latins et Grecs garantissait d’avance la justice de sa décision, si la Russie eut laissé au sultan l’indépendance et la liberté du juge. Malheureusement pour la Russie, le droit des Latins, défendu par la France, était si évident, que les ministres de la Porte dans leur conscience et leurs communications intimes étaient obligés de le reconnaître. L’arrangement formulé dans la note du 9 février 1852 était le résultat d’une enquête dirigée par une commission exclusivement composée de

  1. Colonel Rose to the earl of Malmesbury, 5 déc. 1852. Correspond., part I, n° 54.