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le chancelier. En même temps la Russie commençait ses mouvemens de troupes vers la frontière turque. Sir Hamilton Seymour écrivait à lord John Russell, le 6 janvier 1853, que le cinquième corps d’armée, commandé par le général Lüders, avait reçu l’ordre de compléter ses réserves et de s’avancer vers les provinces danubiennes ; le 7 janvier, que le quatrième corps, commandé par le général Dannenherg, avait reçu l’ordre de se tenir prêt à marcher, ce qui annonçait une concentration de 144,000 hommes. L’ambassadeur anglais se hâta d’adresser à M. de Nesselrode des représentations écrites sur ces préparatifs militaires. — Le but proclamé par la Russie, l’arrangement pacifique de la question des lieux-saints et la conservation de la Turquie, pourrait-il être atteint par de pareilles démonstrations militaires ? demandait sir Hamilton Seymour dans son mémorandum du 8 janvier. Pour une dispute dans laquelle la Porte n’a pas d’intérêt propre, et qui pourrait être arrangée sans difficulté, valait-il la peine d’exciter la jalousie du gouvernement français, de provoquer de sa part des contre-démonstrations, et de mettre en péril l’indépendance de la Turquie et l’autorité du sultan ? Le voisinage de cette armée russe n’était-il pas de nature à exciter des insurrections parmi les sujets chrétiens de la Porte ? Les ennemis de la France prétendaient qu’elle n’avait cherché dans la question des lieux-saints qu’un moyen de jeter la confusion en Europe et de brouiller les puissances. De deux choses l’une, ou cette supposition était vraie, ou elle ne l’était pas. Si elle était erronée, on basait sur un faux prétexte une politique qui devait entraîner les plus graves conséquences ; si elle était vraie, on allait maladroitement favoriser les desseins prêtés à la France. Sans doute, les alliés de la Russie ne devaient lui demander l’abandon d’aucun de ses droits, mais ils devaient lui représenter qu’il ne fallait pas chercher son triomphe dans une démonstration militaire, lorsque toutes les probabilités autorisaient à penser qu’elle pouvait l’obtenir par la voie ordinaire des négociations. — Ces appréhensions, si sagement exprimées, furent taxées d’exagération par M. de Nesselrode. Le ministre russe répondit qu’il était fermement convaincu que cette alarmante question se terminerait d’une façon satisfaisante, si le gouvernement britannique appuyait de ses efforts à Paris et à Constantinople les réclamations légitimes de la Russie, et combattait les prétentions du cabinet français[1].

Ce fut en ce moment que les ouvertures de la France et ses propositions d’arrangement direct arrivèrent à Saint-Pétersbourg. Elles furent accueillies courtoisement dans la forme, mais elles ne changèrent rien aux desseins de la Russie. L’empereur Nicolas en entretint

  1. Sir G. H. Seymour to lord John Russell. Corresp., part I, n° 64, 65, 68.