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des grillages d’osier en dessus et à ses deux extrémités. L’appareil restait plongé dans une eau faiblement courante jusqu’au moment de l’éclosion. Ce procédé est décrit dans un manuscrit daté de 1420, et qui appartient à M. le baron de Montgaudry, petit-neveu de notre célèbre Buffon ; il n’a jamais été publié et était demeuré secret jusqu’à ce jour[1]. Dom Pinchon est donc, selon toute probabilité, le premier inventeur des fécondations artificielles ; mais ses essais doivent être considérés comme non avenus, puisqu’il ne les a pas rendus publics. Ils n’ont eu nécessairement aucune influence sur les progrès de la pisciculture, et n’offrent d’intérêt qu’au point de vue historique.

La pêcherie de Commachio sur l’Adriatique, dont l’origine remonte aussi à une date probablement assez ancienne, offre des conditions naturelles qu’on pourra peut-être utilement imiter sur d’autres points du littoral méditerranéen. Déjà longuement décrite par Bonaveri, puis par Spallanzani, cette lagune mérite donc qu’on en dise quelques mots. Elle peut avoir cent trente milles de circonférence, suivant Spallanzani[2], et est divisée en quarante bassins entourés de digues, qui tous sont en communication avec la mer. Les anguilles y abondent à tel point que les habitans de Commachio en font commerce dans toute l’Italie. Pendant les mois de février, mars et avril, on ouvre les clefs et on laisse tous les passages libres ; les petites anguilles y entrent spontanément et en quantité d’autant plus considérable que le temps est plus orageux. C’est ce qu’on appelle la montée. Une fois dans les bassins, ces poissons y trouvent une nourriture si abondante et si bien appropriée à leurs besoins, qu’ils ne cherchent plus à les quitter que lorsqu’ils sont adultes, c’est-à-dire au bout de cinq ou six ans environ. C’est pendant les mois d’octobre, de novembre et de décembre que les anguilles émigrent et qu’on en prend le plus grand nombre. Pour cela, les pêcheurs pratiquent au fond des bassins de petits chemins bordés de roseaux que les anguilles suivent de préférence, et qui les conduisent dans une sorte de chambre étroite où elles s’accumulent sans pouvoir en sortir. En moyenne, la récolte s’élève annuellement à un million de kilogrammes, et M. Coste nous apprend qu’elle rapporte, d’après les estimations de M. Cuppari, un revenu brut de 80,000 écus romains, c’est-à-dire 440,000 fr. environ.

Les pêcheurs de Commachio profitent, comme on le voit, des avantages que leur offre la nature, et ils n’ont que très peu de précautions à prendre pour assurer le développement du poisson dans cette grande piscine. Les conditions moins favorables dans lesquelles s’exerce la pêche sur les lacs de la Suède ont fait chercher vers le milieu du dernier siècle les moyens de prévenir la perte considérable qu’avait à y subir le frai. Déjà on prenait grand soin dans ce pays de ne pas troubler les poissons aux époques de leur reproduction, au point qu’il était défendu de sonner les cloches pendant tout le temps que dure la fraie de la brème. Un conseiller de Linkœping, Carl Friedrich

  1. M. de Montgaudry a fait connaître la boite à éclosion de dom Pinchon dans l’une des dernières séances de la Société zoologique d’acclimatation, et il a bien voulu nous renseigner en outre sur la manière dont le moine de Réome pratiquait la fécondation des œufs.
  2. Voyage dans les Deux-Siciles, trad. G. Toscan, t. XI, p. 141 et suiv.