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Je ne raconterai pas le voyage de La Mecque; mais voici quelques renseignemens qui peuvent tenir lieu du récit. Mon informateur est un vieux petit Turc, sec, tanné, réservé, propret, qui remplit les fonctions de médecin en chef de la caravane, et fait, moyennant une indemnité de 5,000 piastres (environ 1,250 francs), le voyage de La Mecque chaque année depuis trente-huit ans. Je constate ce chiffre avec impartialité, quoique l’on puisse en tirer la conclusion que le pèlerinage de La Mecque n’est point aussi meurtrier que les renseignemens de mon Sangrado musulman pourraient le donner à croire.

La caravane de La Mecque quitte tous les ans Mezairib le 27 du mois de schewall. Or, comme les mois de l’année turque sont variables, il s’ensuit que les pèlerins peuvent être appelés à faire le voyage en toutes les saisons. Ce n’est pas que les hadjis trouvent dans cet affreux climat grands avantages à se mettre en campagne à une époque plutôt qu’à une autre. En hiver, ce sont des pluies torrentielles, des boues impraticables et un affreux cortège de rhumes, de rhumatismes et de paralysies; au printemps, les changemens brusques de température, le khamsim, qui remplit l’atmosphère de sable enflammé, déterminent des fièvres intermittentes, des ophthalmies, etc. En été, vous avez à redouter les ardeurs d’un soleil dévorant, et une interminable série de dyssenteries, de fièvres chaudes, d’affections cutanées. Joignez encore à cette redoutable énumération que le choléra et la peste s’accommodent également des rigueurs de janvier ou des ardeurs d’août, et vous n’aurez énuméré qu’une partie des obstacles que le climat oppose à l’accomplissement de ce pèlerinage que tout bon musulman doit accomplir au moins une fois dans sa vie.

La distance de Damas au mont Arafat, près de La Mecque, se parcourt en trois cent soixante-dix-sept heures de marche, et compte trente-quatre stations, oasis, châteaux forts en ruine ou villages, où le hadji peut trouver quelques ressources. Sept de ces stations ont des ruisseaux, seize des puits, neuf des citernes; deux de ces stations n’offrent la ressource d’autre eau que celle que l’on y apporte. La route de la caravane est réglée, non pas par les forces des pèlerins, mais suivant les distances des stations. De là des marches forcées qui semblent dépasser les limites des forces humaines. La plus longue de ces étapes est de vingt-sept heures, que l’on parcourt tout d’une haleine, sauf quelques petits intervalles d’un quart d’heure de repos. Il s’agit à tout prix d’atteindre la station, et, arrivé là, ce n’est pas encore le salut. Qui sait ? Le soleil du désert a peut-être tari la citerne, ou bien encore une erreur du guide, qui ne s’explique que trop par l’immuable aspect de ces plaines sans limites, va mettre en danger le salut de la caravane. C’est là une vie de péril à jet continu, que je crois