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sa passion concentrée sur un seul point, — la lutte possible avec l’Autriche, le royaume de l’Italie du nord, l’accomplissement des destinées du Piémont et de la maison de Savoie. C’est dans ce duel avec l’Autriche, longuement préparé, souvent dissimulé, toujours latent, qu’est l’intérêt saisissant du dernier règne piémontais. Aussi quels sont les premiers objets des préoccupations de Charles-Albert à son avènement ? Ce sont les deux points de l’administration intérieure faits pour attirer éternellement les esprits qui méditent quelque dessein, — les finances et l’armée. On a ici l’explication de la ténacité du roi à mettre à la tête de ces deux parties du gouvernement des hommes pleins de sa pensée, M. Gallina et M. de Villamarina. Les finances ! elles étaient en quelques années sur un si bon pied, que le trésor avait des réserves avec lesquelles on songeait à créer une caisse militaire, et qui servaient, en attendant, à secourir des industries, à subventionner des travaux. « Introduire dans les finances une régularité, une économie, une intégrité et une sévérité telles que nous puissions être en mesure d’entreprendre de grandes choses, » voilà la politique que Charles-Albert se traçait à lui-même. Mais l’armée, c’était l’armée surtout qui était la préoccupation fixe du roi. Par un système nouveau, celui des contingens, qui était une sorte de landwehr, il se proposait de faire du Piémont une population de soldats. Nul plus que lui, du reste, n’avait les goûts militaires ; il se plaisait aux jeux de la guerre, il se mêlait aux soldats, prenait part à leurs travaux, à leurs fatigues, et en était aimé. Qu’on songe que sur un budget de 75 millions l’armée piémontaise absorbait 27 millions. On ne s’y méprenait pas dans le fond. Un adversaire de cette politique, qui représentait pourtant Charles-Albert dans une cour d’Italie, disait : « Le roi rêve un avenir impossible, et en attendant il ruine l’état par les dépenses d’une armée qui n’est pas nécessaire. »

L’Autriche pouvait encore moins s’y méprendre, et un incident curieux venait mettre en présence les défiances de la politique impériale et la pensée secrète de Charles-Albert. C’était en 1838, dans un camp d’instruction formé à Cirié, et où s’étaient rendus divers officiers étrangers. L’officier envoyé par l’Autriche, dans un rapport secret adressé à son gouvernement, louait la remarquable tenue des troupes sardes : il disait du roi qu’il était le premier élément militaire de son armée ; mais il y avait une chose qui frappait son attention : c’était l’organisation de cette armée, constituée, selon lui, sur des bases disproportionnées avec le pays, tandis qu’à ses yeux il eût fallu en diminuer l’effectif, faire des camps moins nombreux, réduire les brigades, c’est-à-dire supprimer pour les officiers supérieurs les occasions de se former à manier des masses, ou, en d’autres termes, ramener l’armée piémontaise au rôle que lui assignait la politique