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de toutes façons a notre patrie, c’est de voir s’y développer l’esprit de dignité et d’indépendance nationale qui nous donnera une force immense, si jamais nous sommes assez heureux pour être appelés à défendre notre nationalité. » Ce sentiment se faisait jour de la manière la plus imprévue parfois, comme dans ses querelles avec l’archevêque de Turin, Mgr Franzoni, qui avait paru croire que le roi le redoutait. » Je ne crains point l’Autriche, disait brusquement Charles-Albert dans une lettre à ce sujet, je suis prêt à entreprendre seul une guerre d’indépendance, et je craindrais le marquis Louis Franzoni ! Oh ! ce serait par trop bouffon… » Tel était l’état, de son esprit, et au milieu de ces préoccupations sait-on quel était le héros contemporain qui allait parler à cette âme ardente et la remplissait d’admiration ? C’est Schamyl, l’indomptable chef du Caucase, luttant pour l’indépendance et la nationalité de sa race. « Ah ! ami ***, écrivait un jour le roi sarde, que les nouvelles de la Circassie sont bien faites pour exalter l’âme ! » C’est vers cette époque que paraissait dans un journal français un article d’une origine toute royale, écrit par Charles-Albert, dit-on, et où on parlait des glorieuses destinées de la maison de Savoie[1]. Taciturne et froid en apparence, dédaigneux de la popularité et attiré par elle, Charles-Albert laissait échapper son secret moins dans ses paroles publiques que dans ses confidences et dans ses actes, qui tous semblaient tendre au même but, soit qu’il saisit l’occasion d’une lutte avec l’Autriche sur une question matérielle, soit qu’en faisant frapper une médaille pour les artistes, il y inscrivît cette devise d’un de ses ancêtres, d’Amédée VI : J’attends mon astre ! Autant de faits, autant de symptômes recueillis par l’opinion de l’Italie et par la police autrichienne.


III

Ce n’eût été rien en un autre temps et dans d’autres conditions qu’un différend de commerce sur les sels ou une lutte de tracés de chemins de fer. En 1835, ces questions elles-mêmes n’étaient déjà plus isolées, elles se confondaient dans un mouvement plus profond et plus général dont elles n’étaient qu’un aliment, et qui emportait l’Italie. Ce mouvement ne devait rien aux conjurations secrètes qui de temps à autre envoyaient encore à la mort de jeunes et malheureuses

  1. Il s’agit ici d’un article publié dans le Journal des Débats en mai 1846. Cet article, selon ce qui m’est assuré, avait été écrit par Charles-Albert ; il avait été communiqué à M. le chevalier Giovanetti de Novare, jurisconsulte de beaucoup de mérite, qui en avait approuvé le contenu, puis, par l’intermédiaire de M. de C, ami intime du roi, il était expédié à Paris, où il trouvait sa place dans le journal français, qui peut-être ne se doutait pas d’avoir en ce cas un collaborateur royal.