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dans la plus grande partie de l’Europe. Si je ne me trompe, cette phase nouvelle de l’histoire, si différente de celle qui l’avait précédée, n’est pas, pour les esprits sérieux et réfléchis, d’un intérêt moins puissant. Je vais essayer d’en esquisser le tableau en continuant à puiser mes matériaux principaux dans la correspondance de lord Castlereagh.

Les traités de Paris et de Vienne, en réglant la situation générale de l’Europe et l’état de possession des divers gouvernemens, avaient laissé à déterminer quelques points de détail sur lesquels on n’avait pu s’entendre immédiatement, par exemple la délimitation du royaume de Bavière. L’Autriche s’était réservé de demander à la cour de Munich certains échanges territoriaux qu’elle jugeait nécessaires pour l’établissement de sa frontière. Cet arrangement, où intervinrent les grandes puissances qui s’étaient placées à la tête de l’alliance européenne, ne se termina pas sans beaucoup de difficultés et de temps. La Bavière, qui, en accédant, en 1813, à la grande coalition, avait formellement stipulé le maintien de la contiguïté de diverses parties de son territoire, ne put obtenir que ce principe fût respecté ; elle parut un moment vouloir opposer la force à l’injustice dont elle était l’objet, mais elle finit par se résigner à la nécessité. Le parti militaire, qui exerçait alors à Vienne une grande influence et dont les conseils l’emportèrent, dit-on, en cette circonstance sur la politique plus modérée de M. de Metternich, était résolu à ne pas céder, et la question en elle-même n’avait pas assez d’importance pour que les autres grandes cours crussent devoir appuyer à tout prix le droit incontestable de la Bavière.

La grande affaire de l’Europe à cette époque, c’était encore la situation de la France. Pouvait-on espérer que la royauté des Bourbons s’y affermirait assez pour mettre le pays à l’abri de nouveaux bouleversemens, maintenir la paix au dehors aussi bien que la tranquillité intérieure, et assurer ainsi aux autres états le repos dont ils avaient tant besoin ? Tel était le problème qui se présentait à tous les esprits et qu’ils étaient loin de résoudre tous dans un sens affirmatif.

L’anxiété était d’autant plus grande qu’un nouveau motif d’inquiétude venait de se joindre à tous ceux qui existaient déjà. Jusqu’alors les craintes n’avaient porté que sur la force et la persistance des passions révolutionnaires et bonapartistes et sur les inimitiés implacables qu’elles suscitaient à la maison de Bourbon. Ces passions n’avaient certes pas cessé d’exister ; mais, comprimées maintenant sous le poids de l’indignation presque universelle qui poursuivait les auteurs du 20 mars, contenues par les mesures exceptionnelles et rigoureuses du gouvernement royal, elles avaient laissé le champ libre aux exagérations du parti contraire, et ce parti, maître enfin du pouvoir après vingt-cinq années de souffrances et d’humiliations,