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Elle sera soutenue dans ces tentatives par les jacobins, qui ne désirent rien tant que de voir les royalistes appelés au pouvoir, parce qu’ils pensent que c’est un moyen infaillible de coaliser contre la cour toutes les forces de la révolution et d’augmenter les chances du renversement des Bourbons ou au moins de la branche aînée de cette maison. — En réalité, on me semble créer à plaisir le parti d’Orléans, qu’avec un peu d’habileté on aurait bientôt fait complètement évanouir, le duc n’ayant pas beaucoup d’adhérens qui lui soient attachés pour des motifs tenant à sa personne. Ce qu’on voit en lui, c’est une ressource éventuelle contre les vues connues ou supposées des autres branches de sa famille… - Je vois cette situation avec d’autant plus de peine que, dans ma conviction, elle conduira à des troubles intérieurs et à des luttes de détail qui tourneront bientôt au désavantage de la cause royale, à moins qu’on ne mette en avant les forces alliées, et, bien qu’un des grands objets pour lesquels on maintient sur pied une forte armée du côté de la Flandre soit indubitablement d’appuyer le roi dans le cas d’une nouvelle convulsion, tout autre chose serait d’être amené, par la conduite déraisonnable de la cour, à s’immiscer dans la police du pays. La force qui suffirait amplement à atteindre le premier de ces deux huis et à couvrir l’Europe contre une agression deviendrait insignifiante et complètement impuissante, s’il fallait la disperser dans l’intérieur de la France. »


Le tableau que traçait ainsi lord Castlereagh était bien sombre. Peut-être faut-il y voir en partie l’inspiration de M. de Talleyrand et de Fouché, qui, prévoyant leur chute prochaine et luttant encore, avec l’appui des représentans de l’Angleterre, pour se maintenir au pouvoir, ne pouvaient manquer de leur présenter toute combinaison qui le leur ferait perdre comme le principe infaillible des plus grandes calamités. Cependant quelques jours après L’événement était accompli. Fouché succombait sous la juste répugnance des royalistes, et, on pourrait dire, de tous les honnêtes gens. M. de Talleyrand, en qui ils n’avaient pas beaucoup plus de confiance, mal vu depuis longtemps de l’empereur de Russie et se sentant peu en mesure de travailler utilement à l’œuvre de la paix qu’on négociait encore, se retirait aussi avec le reste du cabinet, non sans espoir d’un prochain retour, et le loyal duc de Richelieu, appelé malgré lui, comme je l’ai déjà dit, à prendre la direction des affaires, travaillait péniblement à former une administration nouvelle où il se vit forcé de faire entrer des élémens assez disparates. Voici comment, le 25 septembre, lord Castlereagh présentait ce moment de transition :


« Il y a certainement une violence extrême d’un côté, et de l’autre la crainte très marquée d’une réaction… Monsieur est dans l’enivrement de la joie. Le duc de Richelieu voit les choses avec beaucoup de modération… Il a un très grand bon sens, et il serait un excellent ministre dans un pays honnête ; mais il n’a jamais rempli d’autres fonctions publiques que celles de gouverneur de Crimée. Il m’a dit hier soir qu’il ne connaissait pas la figure d’un seul de ses collègues, et qu’il n’avait jamais été en France