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du catholicisme. Il fallut que la cour de Rome intervint pour y mettre ordre, et cette fois encore on se sépara sans rien terminer, mais sans courir aux armes.

Plus de quinze années s’écoulèrent, pendant lesquelles les royaumes de Suède et de Danemark devinrent luthériens, avant que les princes protestans missent leurs troupes en campagne. À cette époque, Luther était mort (1546) ; il ne vit point la guerre religieuse en Allemagne. Jamais il ne l’avait désirée, et quand il avait approuvé la ligue définitive formée à Smalkalde par les princes protestans, son hésitation et sa répugnance montrèrent assez que sa vraie pensée était dans ces paroles d’un de ses sermons : « Je veux prêcher, je veux parler, je veux écrire ; mais je ne veux contraindre personne, car la foi est une chose volontaire. Voyez ce que j’ai fait : je me suis élevé contre le pape, les indulgences et les papistes, mais sans tumulte et sans violence. J’ai mis en avant la parole de Dieu, j’ai prêchée, j’ai écrit ; je n’ai pas fait autre chose. Et tandis que je dormais, ou qu’assis familièrement à table avec Amsdorff et Mélanchton, nous buvions en causant de la bière de Wittemberg, cette parole que j’avais prêchée a renversé le papisme, tellement que jamais ni prince ni empereur ne lui ont causé tant de mal. Je n’ai rien fait ; la parole seule a tout fait. Si j’avais voulu en appeler à la force, l’Allemagne eût été peut-être baignée dans le sang ; mais qu’en fut-il résulté ? Ruine et désolation pour l’âme et pour le corps. Je suis donc resté tranquille, et j’ai laissé la parole elle-même courir le monde. » Bossuet, à propos de ce passage, ne remarque que l’extravagance de Luther à vanter son pouvoir. Ainsi le génie ne sait pas toujours être clairvoyant contre sa propre cause, et cette fois le grand écrivain méconnaît le grand homme.

Arrêtons-nous ici. La partie publiée de l’histoire de M. Merle d’Aubigné ne dépasse point l’année 1531. En Suisse, en France, en Angleterre, le mouvement qu’il décrit suivit une progression analogue, mais en général plus rapide et plus troublée ; la persécution et l’insurrection vinrent plus vite ; les supplices suivirent de plus près les argumens, et provoquèrent plus tôt les représailles ; la guerre civile ne tarda pas. Cependant en tout lieu le mouvement commença par un enseignement dogmatique, qui, de la discussion sur la valeur dos œuvres recommandées par Rome, conduisit à l’agression contre l’autorité, la tradition et la discipline romaine. Partout il y eut un développement méthodique de doctrine et une marche correspondante vers une complète indépendance. Ce mouvement était naturel, nécessaire, et il a produit en partie ces variations successives qui étaient dans la nature des choses et comme la condition de toute réforme qui ne se fait pas d’un seul coup.