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abouti à la négation. On nous dit que le principe protestant doit conduire à l’individualisme dans la religion, et par suite à la destruction de toute religion. Il y doit conduire, dit-on ; qu’importe s’il n’y conduit pas ? L’homme n’est point un système qui se dévide comme un fil jusqu’à son dernier bout. Il n’est point une force mécanique qui se prolonge en ligne droite à l’infini. C’est une créature composée de besoins et de facultés multiples, sollicitée à la fois et diversement par sa raison, sa conscience, sa sensibilité, son imagination, ses passions. Quelque penchant qui l’entraîne par momens à se jeter dans un excès, il s’arrête souvent, il se contient, il ne s’asservit pas longtemps à un principe exclusif, et cette raison moyenne qu’on appelle le sens commun le gouverne plus constamment que la logique abstraite. C’est ce que l’esprit de parti, amoureux comme on sait de la logique abstraite, s’obstine à ignorer. Le fanatisme en toutes choses est la réduction de l’intelligence par la passion sous le joug d’une idée exclusive ; mais le fanatisme est une exception, et quand malheureusement il devient un peu commun, au moins est-il passager. Ce n’est point à sa balance qu’il faut peser l’humanité. En politique, n’a-t-on pas dit souvent qu’on ne pouvait s’écarter de l’autorité sans tomber dans l’anarchie ? Et les nations qui respectent le plus les lois, celles qui se sont élevées à la plus grande puissance, au milieu d’un calme profond, ont vingt fois foulé aux pieds ce qu’on appelait ailleurs le principe de l’autorité. L’opposition démocratique se récrie, dès qu’on lui parle des conditions d’un gouvernement régulier ; en dehors de la démocratie illimitée, elle ne voit et ne présage que l’absolutisme, et pourtant la liberté ne s’est jamais réalisée que dans les limites posées par la modération politique. La philosophie, qui a donné au monde des Platon, a enfanté des Epicure. La méditation, qui a dicté à Fénelon le Traité de l’Existence de Dieu, a pu conduire Spinoza à l’Ethique ou au Traité théologico-politique. C’est par l’emploi des mêmes facultés que les uns s’élèvent aux pures croyances de toute religion, et que les autres s’égarent jusque dans l’athéisme. Les uns ont raison et les autres ont tort ; mais de ce que les uns comme les autres réfléchissent et raisonnent, les controversistes modernes infèrent que les philosophes religieux ne valent pas mieux que les philosophes athées, et l’argumentation appelée sorite se déduit comme il suit : le gallicanisme, c’est le jansénisme ; le jansénisme, c’est le protestantisme ; le protestantisme, c’est le libre examen ; le libre examen, c’est la philosophie ; la philosophie, c’est l’athéisme. — Avec cette manière de raisonner, comme pour faire un gallican il faut d’abord prendre un catholique, on prouverait aussi bien, ou plutôt aussi mal, que le catholicisme est l’athéisme. En coûterait-il donc tant de dire tout simplement,