Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/1181

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si le soleil et le printemps portent la joie et sont les bienvenus de tout le monde, leur retour, simple surcroît de bien-être pour le riche, devient tout un événement pour le pauvre ; c’est une véritable transfiguration de son entourage, de son habitation, de sa pauvreté même. Il n’est si triste masure qu’un rayon de soleil ne puisse faire resplendir, et les plus beaux effets de lumière sont presque toujours dus à ces douloureux contrastes. Ce sont là de ces compensations mystérieuses comme la nature se plaît à les prodiguer, et qui certes auraient bien leur prix, si l’âmer sentiment de la réalité ne finissait toujours nécessairement par reprendre le dessus.

Aujourd’hui donc tout brille et tout semble sourire dans le pauvre quartier du Matachin aussi bien qu’ailleurs. Pendant que les hommes sont à la vigne, et profitent du beau temps pour achever leurs labours, les femmes au logis semblent tout remettre en ordre pour la saison d’été. Les fenêtres, toutes grandes ouvertes, dégorgent avec un plaisir extrême l’air étouffant et vicié dans lequel ont vécu depuis six mois ces pauvres familles. Partout les literies mêmes sont déployées et battues de verges au soleil, puis bientôt chaque fenêtre se garnit d’un rosier nain ou d’un pot d’œillets soigneusement gardé à l’intérieur pendant l’hiver. Les conversations se croisent d’une fenêtre à l’autre, et la bonne humeur de chacun se manifeste ainsi par ces sourires et par ces saillies, autres fleurs de l’âme, tout aussi réjouissantes à voir.

Le quartier du Matachin, le plus pauvre de la petite ville de Salins, en est aussi tout naturellement le plus pittoresque. Il commence à la Porte-Basse, et comprend toute la rue d’Olivet, rue qui doit son nom à l’abbé d’Olivet, que Voltaire appelait son maître en grammaire, et qui naquit dans cette rue même. Il parait qu’autrefois un grand seigneur avait dans ce quartier un chenil à chiens. La tradition populaire a appelé cela une meule à chiens, ce qui a fini par devenir ce mot de Matachin, dont la provenance étymologique ne fait du reste nullement disparate avec la physionomie du pauvre quartier ainsi désigné aujourd’hui. Une rue étroite, montueuse et sale, quelques misérables boutiques aux portes basses et cintrées, au-devant desquelles se montrent à peine quelques paires de gros sabots, quelques pipes de terre blanche et quelques chandelles de suif jaune dans un pot de terre rouge : — plus loin, quelques pieds de veau encore en poil, accusant timidement dans ces parages l’existence d’un de ces bouchers au rabais qu’on appelle margandiers à Salins ; — puis, dans cet angle à gauche, la fameuse fontaine de l’Echilette, ainsi nommée de l’escalier en échelette qui conduit de ces profondeurs à l’église de Saint-Maurice, la fontaine de l’Échilette, autour de laquelle bavardent en ce moment les laveuses ; — puis l’étalage d’un fripier, où les vieux pantalons garances tout rapiécés sur les genoux, les vieilles guêtres à chaînettes, les vieux coffres, les vieux chaudrons et les vieilles ferrailles de toute espèce se heurtent et s’entrecroisent dans le plus lamentable pêle-mêle ; — puis enfin, à mesure qu’on arrive dans le haut, c’est-à-dire qu’on se rapproche du courant de la circulation générale, quelques cordonniers battant leur semelle et quelques cloutiers dont un chien fait manœuvrer le soufflet en tirant la langue dans la roue…, — voilà le Matachin. Non cependant. Comme complément, il nous reste à mentionner encore l’enseigne d’un vieux magasin