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— Oh ! ma foi, la maison n’est déjà pas tant peute (laide) ; je ne la donnerais pas encore pour quinze cents francs.

— Allons, mettons quinze cents francs. Et les bœufs, combien ?

— Oh ! ma foi, les bœufs, quand ils avaient encore leurs quatre cornes pour les deux, ils pouvaient bien valoir cinq ou six cents francs ; mais maintenant qu’ils sont maigres et qu’ils n’ont plus que trois cornes…

— Allons, pour la maigreur en plus et la corne en moins, mettons-les à quatre cents francs. Quatre cent cinquante, tenez ! Quatre cent cinquante et quinze cents font mille neuf cent cinquante. Mettons deux mille pour faire un compte rond. Ensuite… vous avez votre vache…

— Oh ! pour notre Bouquette, celle-là, c’est moi qui la soigne. Il faut voir le poil qu’elle a ! Et avec ça un pis qui est gros comme une seille. Ah ! pour la vache, je vous garantis qu’à moins de cinquante écus elle ne sortira pas de mes mains. Ah bien oui ! qu’est-ce que je ferais sans elle ? je n’aurais rien pour entretenir le ménage et rien pour fumer un peu nos deux ou trois coins…

— Allons, va pour cinquante écus ! cela fait deux mille cent cinquante francs. Et vos champs maintenant. Voyons, combien en avez-vous ?

— Oh ! pour les champs, nous en avons… c’est-à-dire non !… c’est-à-dire si !… Voyez-vous, pour les champs, c’est qu’il y en a un qui ne compte pas ; il n’y pousse que des rochers et des prunelles…

— Belle récolte ! oui, mais les autres ?

— Eh bien ! les autres ; il y a notre champ du Frite-à-l’Ane. Autrefois les pommes de terre y allaient encore, maintenant on n’en parle plus ; j’y ai mis un peu de blé.

— Allons, voyons ; le champ du Frite-à-l’Ane, combien vaut-il ?

— Peut-être deux ou trois cents francs.

— Mettons deux cent cinquante, et deux mille cent cinquante, cela fait deux mille quatre cents. Après ?

— Eh bien ! après… nous avons encore le pré du Couti-Oudet. Il n’y en a guère large ; mais c’est le rognon. C’est là que je vais faucher pour ma vache.

— A combien le Couti-Oudet ?

— Pour le Couti-Oudet, vous pouvez le mettre hardiment à huit cents francs.

— Huit cents et deux mille quatre cents, ça fait trois mille deux cents. Après ?

— Eh bien ! après… il n’y reste plus que le champ près de la maison, là où j’ai une petite chenevière avec deux carrés de choux ; le reste est en trèfle pour la vache. Oh ! ma foi. je ne sais pas, moi. lie la chenevière, c’est cher, ça. Il me semble que ça vaut bien… huit cents francs !

— Trois mille deux cents et huit cents font quatre mille francs tout ronds, Jeanne-Antoine, sans compter le reste du mobilier. Ainsi donc vous voilà, vous et votre garçon, à la tête d’une fortune de quatre mille francs, ayant tous les deux avec cela bon pied, bon œil, et vous n’arrivez pas à être heureux ensemble ? Mais je n’en ai pas plus, moi, avec ma Fifine, et cependant elle ne se plaint pas, ni moi non plus.

— Oh ! mais vous, Josillon, c’est bien différent.

— Comment, c’est bien différent ! J’ai ma vigne de Chauviré, celle des Poils-de-Chien