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à faire carambolage jusqu’à l’épaule de Manuel. Les deux pauvres femmes, qui ne s’attendaient à rien, regardent Josillon tout ébahies pendant que l’assistance, qui a parfaitement deviné l’affaire, se tord le ventre de rire au bas de l’église. Le maître d’école n’ose plus lever les yeux de peur d’éclater en rencontrant ceux de Coulas Bousson, et M. le curé lui-même est obligé de se mordre les lèvres, quand il se retourne, pour conserver le calme que réclament les circonstances.

La messe finie, Manuel entre enfin en possession officielle de la Fifine, qui se pend à son bras pour aller signer à la sacristie l’acte de mariage religieux, comme elle a signé déjà tout à l’heure à la mairie l’acte de mariage civil. Au sortir de l’église, la Fifine tressaille de nouveau au bruit des pistolets. La table est prête dans la grange de Xavier. Comme on a été obligé de faire un peu les choses à l’économie, le service n’est pas fort compliqué. Vingt couverts garnissent le tour de la table. Devant chaque couvert, on aperçoit une blanche assiette à soupe pleine de riz qui fume encore un peu. Aux deux bouts de la table surgissent deux piles de gâteaux, puis viennent deux jambons fumés, deux gigots de mouton rôtis au four, et un énorme saladier en clé de voûte au milieu de ce joyeux ensemble. Six bouteilles seulement ont l’air de monter la garde le long de la table, mais le baril est là pour tranquilliser les gosiers égrélis[1]. Le foin nouveau jette à travers tout cela ses odeurs saines et fortifiantes. Les deux couples prennent place sous les couronnes apprêtées pour eux, et la cérémonie commence. Coulas et Manuel ont l’œil à tout.

À l’instant où tout le monde est encore occupé à manger, la Jeanne-Antoine fait signe du doigt à la Fifine, qui est assise vis-à-vis d’elle de l’autre côté de la table, puis elle va ouvrir un des volets par lesquels on donne à manger aux vaches, et la belle tête de la Bouquette s’avance comme à une fenêtre. — Tenez, Fifine, il faut pourtant que vous fassiez aussi connaissance avec notre Bouquette. N’est-ce pas que c’est une belle bête ?

— Oh ! elle est superbe ! Attendez, mère, je vais lui donner un morceau de gâteau ; il faut bien qu’elle fasse aussi la noce.

La Bouquette, qui semble avoir compris, suit des yeux la Fifine. Aussitôt que celle-ci lui présente le gâteau, elle sort de sa bouche une langue longue comme le bras et déjà retroussée par le bout d’un air de convoitise. La Fifine effrayée pousse un cri et laisse tomber le gâteau.

— Ah ! mon Dieu ! Fifine, n’ayez donc pas peur ; allez, c’est une bonne bête, qui ne ferait pas de la peine à un enfant. Regardez plutôt comme elle me lèche. Tenez, je vais fourrer ma main jusqu’au fond de sa gorge, si vous voulez : elle ne me fera point de mal. Hein ! avez-vous vu ? Eh bien ! maintenant donnez-moi le gâteau.

La Jeanne-Antoine tend le gâteau à la Bouquette, qui l’absorbe d’une seule bouchée à la barbe de ses deux voisines, qui essaient aussi de passer leur gros nez à travers la palissade de leur caboulot (compartiment).

— Allons, allons, mesdames, en place, s’il vous plaît ! Nous allons boire à la santé des mariés !

  1. Se dit d’un tonneau qui coule.