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Derfflinger et le prince d’Anhalt-Dessau ; ajoutez-y le troisième volume consacré à Blücher, et vous aurez un groupe de soldats représentés dans toute leur brutale énergie. M. Varnhagen a raison de demander grâce au lecteur pour la grossièreté de ses héros ; il a raison surtout de ne pas chercher à adoucir ces physionomies sauvages : grâce à cette franchise de peinture, il nous est permis de contrôler ses jugemens. La rusticité de Derfflinger, l’altière audace de ce prince d’Anhalt, dont Frédéric le Grand a signalé les mœurs féroces, les basses et brutales vengeances de ce Blücher qui voulait pendre Napoléon vaincu aux arbres du chemin, de ce soldat ivre qui, installé au palais de Saint-Cloud en 1815, recevait la pipe à la bouche les envoyés du gouvernement provisoire, M. le baron Bignon, M. le général Guilleminot, M. le comte de Bondy, et leur souillait la fumée au visage, — tout cela est peint dans les tableaux du biographe avec une impartialité magistrale. En vain M. Varnhagen s’efforce-t-il d’excuser ses héros ; il les peint, cela suffit. L’éloge même contient parfois un blâme savamment combiné. « La bravoure, s’écrie M. Varnhagen, est l’éternelle condition du maintien des peuples et des états. Associé aux progrès de la culture générale, l’art de la guerre transforme cette vertu toute brutale d’abord ; il la radine, il l’épure, il en fait une force intellectuelle, et celui en qui se personnifie cette force, c’est le chef d’une grande armée, le chef qui gouverne ces féroces ardeurs et les asservit aux conceptions de la pensée. Mais il arrive souvent aussi que cet ordre est bouleversé tout à coup ; il arrive que des époques de culture très délicate sont obligées de recourir à ces grossiers et primitifs élémens, et leur soumettent volontairement les forces même de l’esprit. Un voit paraître alors des héros populaires, chez lesquels les puissances démoniaques des masses prennent comme une forme mythologique. Ce sont eux qui décident de la vie et de la mort di>A nations. Telle est la grandeur de Blücher. »

Ce ne sont pas seulement des hommes d’action que M. Varnhagen a voulu peindre dans ses Monumens biographiques ; après le groupe des aventuriers et le groupe des maréchaux prussiens, voici le groupe des poètes. Cette belle suite d’études est certainement une des œuvres les plus distinguées de l’histoire littéraire chez nos voisins. Entre la vive période que domine le nom de Luther et celle où Leasing et Klopstock donnent l’essor au génie de l’Allemagne, il y a toute une période ingrate qui semble le royaume de l’ennui ; l’habile biographe y a découvert, à la grande surprise de l’Allemagne et aux applaudissemens de Goethe, bien des trésors cachés. Un poète dont la vie semble un roman d’aventures, un poète doux, aimable, religieux, qui prend part à une expédition diplomatique auprès du schah de Perse, qui parcourt les pays les moins hospitaliers, qui visite la Grimée » la Turquie,