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certain qu’elle l’était avant de connaître Mme de Sablé. Mme de Longueville formait un lien naturel entre deux personnes qui lui étaient chères et qui pensaient de même : sous ses auspices, elles se rapprochèrent pour ne plus se séparer. Valant nous a conservé leur correspondance[1]. On peut y voir les commencemens et la suite de leur liaison, leur commun dévouement à la cause de Port-Royal, et leurs efforts concertés pour y attirer et y engager de plus en plus l’illustre amie. Vers la fin de l’année 1661, elles la déterminèrent à franchir un grand pas.

Mme de Longueville s’était d’abord remise entre les mains d’ecclésiastiques d’une sévérité peu éclairée, qui, tournant contre elle son repentir et son humilité, lui avaient imposé les pratiques les plus étroites d’une dévotion vulgaire. Plus ces pratiques lui répugnaient, plus elle s’y soumettait par esprit de pénitence; mais la nature en elle se révoltait, et, n’osant pas se soustraire à l’autorité de ses directeurs, elle tombait dans des troubles et des dégoûts intérieurs voisins du désespoir. Mme de Sablé et Mlle de Vertus, qui savaient l’état de son âme et ses misères secrètes, lui conseillèrent de voir l’abbé Singlin, directeur de Port-Royal, dont les lumières égalaient l’austérité; mais dans la persécution qui était tombée sur Port-Royal, Singlin avait été forcé de se cacher ainsi que ses amis, et il lui était bien difficile de quitter sa retraite pour paraître dans l’hôtel d’une princesse. Il lui fallut se déguiser, prendre le manteau court et la perruque, et se présenter chez Mme de Longueville comme un médecin qui l’irait voir pour sa santé, ce qui, en un sens, était très véritable, ainsi que le remarque le bon Fontaine dans ses naïfs et touchans mémoires. « Il alla ainsi, dit-il, où la charité le poussoit. Dès qu’il fut revenu de sa première visite, il avoua à ses amis les plus confidens, dont il imploroit le secours et les prières pour cette princesse, qu’elle avoit le cœur et l’habit d’une pénitente. Il demeura d’accord qu’après que Dieu avoit commencé si bien, elle méritoit d’être assistée, et qu’elle le pouvoit être aisément, parce qu’elle témoignoit une grande docilité et une grande résolution. A chaque fois qu’il en revenoit, il avoit toujours l’esprit plein de ce qu’il avoit vu, ne se lassant pas d’offrir à Dieu et de lui faire offrir par tous ses amis une personne qui méritoit si fort qu’on la recommandât à sa miséricorde. »

On ne saurait s’imaginer que de peines se donnèrent Mme de Sablé et Mlle de Vertus dans toute cette affaire, que de démarches, que de négociations pour décider Singlin, que de pieux artifices pour le dérober à la curiosité des gens de la maison, quelle anxiété sur le

  1. Cette correspondance se compose de cinquante-six lettres, t. VII des portefeuilles de Valant, p. 35-150.