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ront pas davantage, d’une manière permanente, il s’entend, car pour une occupation provisoire, ceci est bien différent. Seulement quelle sera la durée de cette occupation provisoire ? comment sera-t-elle réglée ? Que deviendra Constantinople ? Ce sont des questions sur lesquelles règne une savante obscurité. En même temps l’empereur Nicolas, tant qu’il disposera d’un homme et d’un mousquet, ne permettra pas la reconstitution d’un empire byzantin ou l’extension de la Grèce actuelle, ou bien encore la création d’états tellement indépendans, qu’ils pussent devenir l’asile de tous les révolutionnaires. Mais la Valachie et la Moldavie jouissent d’une indépendance de fait sous la protection de la Russie, elles peuvent rester dans ces conditions. Pourquoi la Servie et la Bulgarie n’adopteraient-elles pas la même forme de gouvernement et ne seraient-elles pas admises à partager les bienfaits de ce régime, qui en ce moment enlève aux paysans moldo-valaques jusqu’à leurs instrumens aratoires, sans doute afin qu’ils ne s’insurgent pas en faveur de la Russie ? D’un autre côté, l’Angleterre peut avoir quelque intérêt à être maîtresse de l’Égypte, et il n’y a certes aucun obstacle à ce qu’elle s’y établisse. Candie a toute sorte de titres à devenir une possession anglaise : pourquoi n’en serait-il pas ainsi ? On voit combien tout se simplifie dans ces arrangemens. Que manque-t-il ? Peu de chose, à peine l’exécution, heureusement.

Ce qu’il faut remarquer en regard de ce prince régénérateur de l’Orient, c’est l’attitude du diplomate anglais. En observateur pénétrant et fin qui désire tout savoir, sir Hamilton Seymour écoute, provoque des explications, maintient sa position, et de temps à autre détruit par un mot de bon sens l’édifice de la pensée russe ; il ne laisse à personne le soin de conclure que celui qui est si bien renseigné sur la mort prochaine d’un empire est décidé à la provoquer plutôt qu’à l’attendre, et il voit avec une perspicacité rare le piège tendu à son pays. Le sens de ces ouvertures ne lui échappe pas. Si l’Angleterre se refuse à s’entendre avec la Russie, elle aura d’autant moins le droit de se plaindre de ce qui surviendra. Si elle accepte l’examen de ces éventualités, elle est dès ce moment partie consentante à la catastrophe. La Russie croyait lier l’Angleterre, elle n’a fait que laisser dans ses mains un formidable témoignage qui éclate aujourd’hui contre elle. L’empereur Nicolas n’apercevait pas que la plus sanglante critique de cette prétendue sagesse qui se proposait de pourvoir aux crises de l’Orient, c’était la réponse du gouvernement anglais, lorsque lord John Russell disait que toute combinaison basée sur la dissolution de l’empire ottoman ne pouvait que hâter cette dissolution. Il ne remarquait pas qu’entre la Russie et l’Angleterre les points de vue étaient opposés, la première prenant pour point de départ une catastrophe qu’elle était décidée à provoquer, la seconde ayant justement pour politique de faire vivre le malade que la Russie voulait tuer. Voilà pourquoi l’Angleterre et la Russie ne pouvaient pas s’entendre ; voilà comment, en partant des conférences secrètes de Saint-Pétersbourg, elles devaient finir par se rencontrer les armes à la main en Orient et dans la mer Baltique. Mais entre tant d’autres choses singulières de cette négociation, ce qui est le plus étrange peut-être, c’est le rôle attribué à la France par l’empereur Nicolas. Pour le moment, le tsar voulait exclure la France de ses combinaisons, comme le dit sir Hamilton Seymour ; de là le rôle qu’il jouait auprès du gouvernement anglais, de là