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Napoléon comme écrivain : « Toute âme forte et grande, aux momens où elle s’anime, peut se dire maîtresse de la parole, et il serait bien étrange qu’il n’en fût pas ainsi. Une pensée ferme et vive emporte nécessairement avec elle son expression. » Spontini est un exemple frappant de cette vérité, qu’une âme fortement émue emporte avec elle l’expression qui lui est nécessaire, et qu’elle peut, dans une situation donnée, enfanter même un chef-d’œuvre. Telle est la signification de la Vestale. Italien de naissance, musicien d’instinct, élevé à Naples sous les yeux de Piccinni et de Cimarosa, exalté lors de son premier séjour en France par les événemens et par les œuvres de Gluck, qui lui révélaient sa propre énergie, Spontini a composé laborieusement, et un peu avec l’aide de tout le monde, une partition admirable où les belles formes de la mélodie italienne sont rehaussées par une instrumentation puissante, reliées ensemble par l’esprit dramatique et le goût sévère de l’école française. L’œuvre de Spontini forme la transition entre Gluck et Rossini, dont elle a évidemment éveillé la fantaisie. C’est là le seul rapprochement qu’il soit possible d’établir entre l’auteur de la Vestale et le merveilleux génie auquel on doit tant de chefs-d’œuvre, où la divination de l’harmonie et de l’art d’écrire est à la hauteur de l’inspiration. Spontini a droit sans doute, — comme quiconque parvient à découvrir une loi de la nature ou une forme nouvelle du sentiment, — à la qualification suprême d’homme de génie ; mais si tous les génies sont égaux par l’élévation du but qu’ils ont atteint, ils diffèrent entre eux par la grandeur de l’horizon qui borne leur empire. Quoi qu’il en soit. Dieu ne demande au pécheur qu’une bonne pensée pour lui ouvrir les trésors de sa miséricorde, et une œuvre bien conçue suffit à l’humanité pour sauver un de ses membres de l’oubli éternel. Spontini vivra donc parce qu’il a fait la Vestale, l’une des belles et grandes partitions de la musique moderne.

Le Théâtre-italien poursuit assez péniblement le cours de ses représentations, qui deviennent de moins en moins intéressantes. On a vu s’y succéder un assez grand nombre de débuts malheureux, la reprise de Don Juan, celles de la Gazza ladra, de la Donna del Lago et d’Otello. La musique italienne ne peut se soutenir à Paris qu’à l’aide d’une exécution très soignée, si ce n’est parfaite, et il s’en faut de beaucoup que la troupe de M. Ragani remplisse les conditions exigées.

Quant au Théâtre-Lyrique, il fait tous les jours des miracles, puisqu’il existe. La Fille invisible, opéra-comique en trois actes, de M. Adrien Boïeldieu, qui s’efforce de porter honorablement un nom illustre, a précédé la Promise, autre opéra-comique de M. Clapisson, où il y a quelques morceaux agréables, dont Mme Cabel a fait le succès; elle y est fort gracieuse, et chante surtout avec beaucoup d’éclat la ballade de la fin.

L’art de chanter vient de faire une perte douloureuse : Rubini est mort à Romano, village près de Bergame, le 3 mars. Ce merveilleux interprète de la musique de Bellini et de Donizetti est le dernier grand ténor qu’ait produit la belle école italienne.


P. SCUDO.


V. DE MARS.