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pays hors de l’ordre légal, dans un abîme inconnu. Quand un homme a commis de tels attentats, il a beau faire, jamais il ne s’en lave. Le génie, le courage, le bon sens, la prudence, les services rendus, ne le purifient pas. Sous cette tache ineffaçable, il n’y a pas de vraie gloire, de gloire pure et radieuse.

Aussi que M. Guizot nous permette de lui signaler deux mots, les seuls peut-être dans tout son livre que nous oserions contester. En nous parlant d’une mesure, odieuse et tyrannique, adoptée par Cromwell pendant son protectorat, il nous dit que cet expédient (le régime des majors-généraux) valut au protecteur des sommes considérables, mais fut la ruine de sa belle gloire. Sa belle gloire ! Est-ce bien à Cromwell que ces deux mots s’appliquent ? En écrivant ces deux mots, M. Guizot ne pensait-il qu’à lui ? N’est-ce pas, à son insu, par une sorte d’analogie, par un de ces rapprochemens historiques dont il a si bien coutume de se garantir, que le mot gloire lui-même est venu sous sa plume ? N’avait-il pas devant les yeux cet autre dictateur, ce jeune général fraîchement débarqué d’Egypte, qui avait, lui, vraiment, une gloire à conserver, une gloire pure alors, car Dieu lui avait fait la grâce d’être par sa jeunesse étranger à nos discordes, de n’avoir rougi que son épée ?

Entre le protectorat de Cromwell et les débuts du consulat, la différence est immense. Les deux hommes ont bien le même but, combattre le désordre, comprimer l’anarchie : ils sont également d’accord sur le moyen, étouffer la liberté; mais, il faut le reconnaître, la tâche était chez nous plus rude et plus méritante. En renversant le directoire, en délivrant les Français de ce qu’ils redoutent le plus au monde, la nécessité de faire eux-mêmes leurs affaires; en transformant en lieu décent le tripot où ils étaient tombés, en leur donnant beaucoup d’ordre et un semblant de légalité, on les comblait de joie, d’admiration; on leur rendait un tout autre service, un service bien autrement senti qu’en faisant aux Anglais la surprise de chasser le long-parlement. Si c’eût été du moins pour en appeler un autre et pour gouverner librement; mais non, c’était pour se mettre à sa place, en faisant à peu près comme lui, avec un degré de plus de force et de régularité. Aussi chez les Anglais point de transports d’enthousiasme, peu de reconnaissance; de l’étonnement, de la crainte, une haute idée de l’homme et de son génie, mais aucun changement profond et considérable dans l’état du pays. Les sentimens comme les choses restent, ou peu s’en faut, ce qu’ils étaient la veille. Chez nous, complète métamorphose, la scène est transformée; c’est un changement à vue.

Des résultats si divers exigeaient, on le comprend, des moyens différens. Pour restaurer l’ordre chez nous, pour faire ce grand