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paroxysme de passion jalouse peut seul excuser une pareille atteinte aux plus simples notions de délicatesse et de savoir-vivre. Pourtant là encore l’exécution dramatique a sauvé ce que ce passage aurait pu avoir de scabreux et de choquant. Le courroux de Poirier, ses cris de haine et de triomphe, le désespoir de sa fille, la douleur de Gaston, les généreux efforts de Verdelet et de Montmeyran pour calmer ces cœurs irrités, l’énergique résolution d’Antoinette qui s’empare de la lettre fatale et la jette au feu, tout cela forme un tableau très émouvant, très pathétique ; et quand Gaston resté seul, humilié par son beau-père, repoussé par sa femme, miné de nouveau et tenté de recourir au suicide, s’écrie avec une angoisse navrante : « Tu l’as voulu, marquis ! tu l’as voulu ! » on est trop ému pour se demander si cette réminiscence du vrai George Dandin tombe bien à propos, et si c’est simplement Pour avoir épousé la fille d’un roturier que le marquis est malheureux.

Cependant tout se relève et se répare. Montmeyran et Verdelet, les deux bons génies de la pièce, ont compris que Gaston et Antoinette s’aimaient, et que, malgré les torts de l’un et les ressentimens de l’autre, cet amour pouvait être leur salut. Ils apaisent de leur mieux l’irascible poirier, qui continuait de combiner ses projets de vengeance. Puis Montmeyran, pour réveiller dans le cœur d’Antoinette cette tendresse qu’elle croit éteinte, lui avoue que son mari va se battre. Hélas ! ce duel, c’est encore un souvenir de cette indigne liaison qu’il déplore et qu’il maudit. Mme de Prestes consent à pardonner à Gaston, mais à la condition qu’il renoncera à cette rencontre, qu’il fera, s’il le faut, des excuses à son adversaire. On comprend tout ce que cette situation a de terrible pour le marquis de Prestes, qui est étourdi, prodigue, léger, coupable, mais qui est brave comme ses aïeux, dont la noble et martiale histoire va de Crécy à Quiberon. Il refuse, il hésite; puis, lorsque dans un effort suprême, la pâleur au front et les larmes dans les yeux, a murmuré un consentement, Antoinette se jette à son cou : « Maintenant va te battre ! » lui dit-elle avec autant de vaillante ardeur que si le sang des Montmorency ou des Mortemart coulait dans ses veines. Au même instant, on apporte une lettre de l’adversaire, qui n’était qu’un faux gentilhomme, un faux brave, et qui fait spontanément des excuses. La réconciliation est complète. Verdelet, qui est riche et dont la fortune appartient d’avance à sa filleule, a secrètement racheté le château de Prestes, que poirier, dans sa colère, menaçait de faire dépecer par la bande noire. C’est son cadeau de noce, et les deux jeunes époux iront y oublier leurs chagrins. Quant à poirier, il déclare à son gendre, à sa fille et à son ami que ces mécomptes et ces secousses l’ont pour jamais guéri de son ambition; mais en même temps, dans un dernier a parte, il se livre à un calcul savant, d’après lequel il réunira toutes les conditions matérielles pour être un excellent pair de France — en février ou mars 1848.

Nous le répétons, s’il ne s’agissait que de constater le succès et l’agrément de cet ouvrage, notre tâche serait facile, ou plutôt elle serait finie. A chaque scène, presque à chaque mot, des applaudissemens chaleureux ont accueilli ce mélange de gaieté franche, de verve gauloise, de sensibilité délicate, d’attendrissement sincère, où se révèle l’alliance, heureuse cette fois, de deux esprits d’élite, s’animant ou se tempérant l’un par l’autre. Verdelet et le duc de Montmeyran, bien que leurs rôles soient accessoires, ont une