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secrétaire les faits prétendus qu’on voulait soumettre à un examen scientifique. De même, la nomination de la commission était de droit. Jusqu’ici, il n’y a rien qui fasse autorité pour les prodiges annoncés. Or, les membres de la commission n’ayant pu vérifier aucune des particularités annoncées, il n’y eut point de rapport fait, et les parens d’Angélique, gens d’une probité exemplaire, s’en retournèrent avec elle dans leur pays. La bonne foi des époux Cottin et d’un ami qui les accompagnait m’avait fort intéressé, et j’aurais voulu pour tout au monde trouver quelque réalité dans les merveilles annoncées. Ainsi on prétendait que la jeune Angélique distinguait au toucher le pôle d’un aimant renfermé dans son étui. Il n’en était rien, et même en lui présentant l’étui sans aimant, la sensation prétendue était la même. Un tourniquet léger, formé de feuilles de papier portées sur un pivot, ne fut jamais mis en mouvement par le prétendu fluide électrique de cette fille, malgré toutes les assertions contraires d’essais préalables. J’ai dit ailleurs[1] que la seule évolution remarquable qu’elle exécutât, c’était, en se levant le plus paisiblement du monde d’une chaise où elle était assise, de lancer cette chaise en arrière avec une force telle que souvent la chaise allait se briser contre un mur; mais l’expérience capitale, celle où, suivant ses parens, se révélait le miracle de produire du mouvement sans toucher les objets, était la suivante. On la plaçait debout devant un léger guéridon recouvert d’une mince étoffe de soie; son tablier, formé aussi d’une soie très légère et presque transparente, posait sur le guéridon, mais cette dernière condition n’était pas de rigueur; alors, quand la vertu électrique se manifestait, le guéridon était renversé, tandis que la fille électrique conservait sa stupide impassibilité ordinaire.

Je n’avais jamais été témoin d’aucune réussite dans ce genre, ni moi, ni mes confrères de la commission de l’Institut, ni les médecins, ni quelques écrivains qui avaient suivi avec beaucoup d’assiduité toutes les séances indiquées au domicile des parens. Pour moi, j’avais dépassé toutes les bornes d’une complaisance bienveillante, lorsqu’un soir ceux-ci vinrent me prier, au nom de l’intérêt que je leur avais témoigné, de leur donner encore une séance de plus, et que la vertu électrique venait de se déclarer de nouveau avec une grande énergie. J’arrivai vers huit heures du soir à l’hôtel où logeait la famille Cottin. Je fus désagréablement surpris, dans une séance destinée à moi seul et à ceux que j’avais amenés, de trouver la salle envahie par une nombreuse réunion de médecins et de journalistes attirés par l’annonce des futurs prodiges qui allaient reprendre leur cours. Après les excuses faites, je fus introduit dans une chambre du fond qui servait de salle à manger, et là je trouvai une immense table de cuisine, formée d’épais madriers de chêne d’une grosseur et d’un poids énormes. Au moment du dîner, la fille électrique avait, par un acte de sa volonté, renversé cette table massive, et brisé par suite toutes les assiettes et bouteilles qui se trouvaient dessus; mais ces excellentes gens ne regrettaient pas cette perte, ni le mauvais dîner qui en avait été la suite, par l’espérance que les propriétés merveilleuses de la pauvre idiote allaient se manifester et devenir officielles. Il n’y avait pas moyen de douter de la véracité de ces honnêtes témoins. Un vieillard octogénaire, le plus

  1. Voyez la livraison du 15 janvier 1854.