Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/553

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Réthy et Meerhout, j’étais décidé à aller à Moll demain, et à parcourir tous les villages et toutes les fermes des environs.

— Eh bien ! faites cela, mon ami, vos peines ne resteront pas sans récompense. J’ai encore quelques jours à ma disposition, et je veux essayer si je ne puis vous aider dans vos recherches. Ce soir, nous couchons à Lichtaert, et demain, vers midi, nous serons chez le secrétaire de Moll pour nous y concerter avec vous sur ce qu’il y a à faire. N’épargnez pas l’argent, mon ami, prenez une bonne voiture et ne vous fatiguez pas inutilement pour moi. A demain donc, et que Dieu nous donne la chance de réussir !

En disant ces mots, le colonel se leva, serra la main du secrétaire et regagna l’auberge de la Couronne. Une heure après, deux cavaliers prenaient au galop le chemin de Lichtaert.


IV.

Le lendemain, de bonne heure, le colonel et son compagnon suivaient le sentier capricieux qui mène, à travers la bruyère, de Lichtaert à Moll.

Le soleil brillait de tout son éclat dans le ciel bleu, et faisait monter de la plaine sablonneuse des vapeurs ondoyantes qui la faisaient ressembler à un ardent océan de flammes blanchâtres et presque incolores. Le parfum particulier à la bruyère et l’odeur des feux de sarts[1] inondaient l’atmosphère ; les grillons chantaient leur monotone chanson, et mille autres petits animaux fourmillaient dans la bruyère fleurie. Tout cela agit sur le colonel avec une irrésistible puissance : c’est au milieu de cet air tant aimé qu’il avait passé ses plus belles années; tout, autour de lui, tout, jusqu’au brin d’herbe maigre et chétif, réveillait au fond de sa mémoire d’émouvans souvenirs. Aussi chevauchait-il, la tête penchée, devant son compagnon, et laissait-il flotter la bride de son cheval en gardant le plus profond silence.

Pendant plus d’une heure, le jeune lieutenant respecta ce silence de son supérieur, mais il finit cependant par rapprocher son cheval du sien, et, cherchant à distraire sa douleur : — Colonel, dit-il, chassez donc votre tristesse. Je conçois très bien le désir que vous éprouvez de retrouver votre enfant; mais un homme comme vous, qui cent fois a vu en face l’ennemi et la mort sans trembler, doit-il se laisser abattre par une douleur vulgaire ?

  1. Les sarts sont des gazons de comte bruyère qu’on détache du sol avec la bêche, et qui sont réunis en monceaux sur toute l’étendue des plaines campinoises. Ces sarts sont brûlés comme de la tourbe, et répandent dans l’air une odeur particulière qui, lorsque le temps est favorable, annonce à une distance étonnante le pays de la bruyère. Quiconque a habité la Campine pendant quelque temps, s’en éloignât-il ensuite pendant vingt ans et plus, n’oublie jamais cette odeur des sarts.