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Le colonel releva sa fille en s’écriant d’une voix brisée par l’émotion : — C’était donc là l’énigme! Quel cœur! Eh bien! Monique, sois sauvée, mon enfant! Qu’il soit ton mari!

Un cri perçant s’échappa du sein de Jean; il chercha à s’appuyer sur un fauteuil, mais s’affaissa lourdement sur le tapis, tandis que Monique courait à lui les bras ouverts.


X.

En 1831, peu de temps après la révolution, un soldat, le fusil sur l’épaule et le sac sur le dos, cheminait dans la bruyère entre Moll et Desschel. Il atteignit bientôt une grande ferme qui avait tout l’aspect d’une maison de campagne, et exhiba son billet de logement à l’homme qui se trouvait sur le seuil. Celui-ci appela une servante, et tous deux, faisant au soldat l’accueil le plus sympathique, se mirent à le débarrasser de son sac et de ses autres objets d’équipement. Le jeune militaire s’étonna de la cordialité de la réception, et, frappant sur l’épaule du paysan, il lui dit d’un ton dégagé : — Vous avez servi, fermier ?

— Non, répondit le paysan, mais vous trouverez ici à qui parler guerre et batailles. Entrez, mon ami, le jambon et la bière sont déjà sur la table.

Tout en entrant, le soldat vit au coin du foyer un homme dont la vénérable physionomie et les cheveux blancs lui inspirèrent au premier coup d’œil un sentiment de respect. La longue cicatrice qui traversait son visage et le ruban de la Légion-d’Honneur attaché à son habit lui indiquèrent celui dont le paysan avait dit : « Ici on sait parler guerre et batailles. »

Le vieux guerrier salua le soldat d’un bienveillant sourire, et lui montra la table comme s’il eût voulu dire : Mangez et buvez d’abord, nous causerons après.

Tandis que le soldat suivait ce bon conseil et mettait à profit le repas qui lui était offert, il promena curieusement son regard sur les personnes qui se trouvaient autour de lui. Au fond de la chambre, une femme était assise devant un rouet ; à côté d’elle se tenait debout l’homme qu’il avait rencontré sur le seuil. Leurs traits à tous deux annonçaient la santé du corps et les paisibles joies de l’âme, et on eût dit qu’un rayon d’amour brillait dans leurs yeux chaque fois qu’ils s’entre-regardaient. Un peu derrière la femme était assise une vieille toute décrépite, dont les doigts engourdis mêlaient encore les fuseaux sur un carreau à dentelles.

Les yeux du soldat étaient fixés depuis quelque temps de ce côté de la chambre, quand il entendit derrière lui une jolie chanson dont