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la pensée d’une supériorité innée sur toutes les populations qui l’entourent. C’est sur cette pensée que se fonde sa prétention au gouvernement des peuples chrétiens placés aujourd’hui sous la domination des Turcs, et qui, dans ses calculs, constitueraient l’empire néo-byzantin. Cependant les Grecs sont la moins nombreuse des grandes races chrétiennes répandues sur le territoire ottoman, les Slaves, les Moldo-Valaques et les Arméniens, — et tel est l’abus qu’ils ont fait du gouvernement au temps de leur puissance, telle est l’impopularité dont leur nom est entouré en Moldo-Valachie, en Serbie, en Bulgarie, dans l’Asie-Mineure, où ils ont été longtemps les instrumens de l’administration turque, qu’ils sont comme isolés au milieu des autres chrétiens d’Orient. Il n’est pas un seul des peuples chrétiens de l’empire turc qui ne préfère sa condition présente sous la souveraineté des musulmans à l’état de choses qui résulterait du rétablissement d’un empire de Byzance gouverné par les Grecs. Et de quel titre les Grecs prétendraient-ils au gouvernement de tant de peuples, moins raffinés peut-être, mais qui n’ont rien perdu à marcher d’un pas moins rapide, puisqu’ils ont conservé les deux qualités essentielles aux nations comme aux individus, le discernement et l’énergie ? Nous sommes loin de prétendre que les Grecs n’aient rien conservé de leurs ancêtres : il est facile, au contraire, de reconnaître chez les Grecs modernes plusieurs des traits distinctifs des Grecs anciens ; maiS’avec quelques-unes de leurs qualités, la plupart de leurs défauts appartiennent encore aujourd’hui à ceux qui ont gardé leur place sur le sol. Dans les circonstances présentes, nous ne pouvons oublier le défaut même qui a causé le premier asservissement de la Grèce ancienne : l’indiscipline, l’absence d’esprit de gouvernement.

En définitive, la politique si imprudente que suit en ce moment la Grèce ne saurait avoir de conséquences fâcheuses que pour elle. Si le gouvernement grec persistait dans cette voie, il donnerait une triste preuve de l’incapacité politique d’un état auquel les circonstances offraient précisément l’occasion de se rendre utile à l’Europe et de se montrer digne de l’intérêt qu’elle lui a marqué en lui donnant l’existence. Il n’est pas à présumer que les puissances occidentales qui ont résolu de maintenir l’intégrité de l’empire ottoman, et qui engagent leurs pavillons, leurs drapeaux à la poursuite de ce but, permettent à l’insurrection grecque de s’étendre. Déjà même, avant qu’elles aient fait d’autre démonstration que l’envoi de quelques bâtimens sur les côtes d’Albanie, de nombreux symptômes de fatigue succèdent en beaucoup d’endroits à l’enthousiasme des illusions. Les masses ne s’empressent nullement de s’enrôler, et on ne les voit point courir à la frontière. Les souscriptions n’affluent point dans les caisses des hétairies. Si le bon sens, qui a conservé à Athènes quelques organes énergiques et courageux, ne suffit pas pour ramener le gouvernement grec à une plus juste appréc’ation de ses intérèls, on peut donc compter sur l’effet du découragement : triste ressource, mais précieuse encore pour la Grèce, si par là elle échappe à la répression que provoquerait une plus longue persistance dans une entreprise injustifiable ! ch. de mazade.

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V. de Mars.