Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/668

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les dissentimens que je viens d’indiquer entre les coalisés n’avaient pas encore ouvertement éclaté ; on les pressentait, on en subissait déjà la fâcheuse influence, mais on pouvait encore ajourner les questions où ils prenaient leur source. Il en était une autre qu’on ne pouvait écarter ainsi et qui déjà avait mis en quelque sorte aux prises l’Autriche et la Russie. On a vu que M. de Metternich, pour ouvrir aux armées alliées l’entrée du territoire français, que semblait leur interdire la neutralité de la Suisse, avait suscité contre le régime établi dans les cantons par la médiation de la France le parti de l’ancienne aristocratie. Ce parti, dont le principal foyer était dans le canton de Berne, réclamait hautement le rétablissement de l’ordre de choses antérieur à la révolution, et l’Autriche était tout à fait disposée à lui donner satisfaction ; mais une des premières conséquences de cette restauration eût été de replacer le pays de Vaud sous la souveraineté de Berne, qu’il avait rejetée quinze ans auparavant avec l’appui de la France, et Vaud comptait parmi ses concitoyens un protecteur bien puissant auprès de l’empereur Alexandre, le colonel Laharpe, son ancien précepteur. Par attachement personnel comme par suite de la tendance générale de ses opinions, Alexandre s’était donc trouvé amené à prendre la défense du système nouveau, du parti qu’on appelait, suivant le point de vue dans lequel on se plaçait, le parti libéral, le parti révolutionnaire, le parti français, et il y portait une extrême vivacité. On l’avait entendu déclarer qu’il regarderait toute atteinte portée à la neutralité de la Suisse comme une attaque dirigée contre lui-même. Plus tard il s’était résigné à une mesure qui avait servi si utilement les intérêts de l’alliance, mais au fond il savait mauvais gré à M. de Metternich de l’avoir mis ainsi en contradiction avec lui-même ; il protestait qu’il ne permettrait pas qu’on touchât à l’indépendance du canton de Vaud. Si la nécessité d’un compromis était déjà évidente pour tous les hommes de sens, il n’était pas aisé de prévoir les termes de l’arrangement qui concilierait tant bien que mal des prétentions si opposées.

La situation du prince royal de Suède était encore, bien qu’à un moindre degré, un élément de discorde dans la coalition. Lorsque Bernadotte s’était décidé, avant la Prusse et l’Autriche, à s’unir à l’Angleterre et à la Russie contre la puissance si redoutable de Napoléon, il avait été accueilli avec un empressement facile à concevoir par les alliés dont il venait grossir les rangs, alors peu nombreux, et on n’avait pas hésité à lui promettre une magnifique récompense, la Norvège. À mesure que l’alliance s’était fortifiée, son concours avait naturellement perdu de son prix aux yeux des confédérés, et la plupart, ceux surtout qui étaient entrés plus tard dans la coalition, avaient senti se réveiller en eux leurs préventions naturelles contre l’ancien général républicain. La conduite de Bernadotte