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domination absolue, ni la seconde à l’espoir de l’acquérir, d’où il arrive que toutes les promesses que ces religions se font du bout des lèvres sont immédiatement démenties par les faits. Celle qui n’opprime pas est nécessairement et infailliblement opprimée. Pour que la tolérance devienne effective, il faut que l’espérance de tout conquérir soit arrachée à l’une au moins de ces églises, et cela ne se peut que si l’inutilité de ses efforts lui a été démontrée par des expériences salutaires, après quoi elle se résigne à voir à côté d’elle son adversaire, qu’elle désespère de détruire. Il peut aussi arriver que des croyances ennemies qui se sont déchirées l’une l’autre pendant des siècles finissent par rencontrer un ennemi commun dans la philosophie et la raison humaine : alors ces deux religions, non contentes de se tolérer, s’entr’aident, elles s’étayent mutuellement. Personne n’en était là au XVIe siècle. Il en résulte que la tolérance, qui a pu devenir un principe de gouvernement dans notre époque, n’était rien qu’une théorie de philosophie, une abstraction métaphysique, à l’époque dont nous parlons. En vain les hommes, harassés de la lutte, faisaient des traités par lesquels la paix était assurée aux deux religions. Dès qu’il s’agissait de pratiquer cette paix, l’impossibilité naissait de toutes parts. Après quelques semaines d’épreuves, et lors même que l’union était le plus désirable, chaque jour on devenait plus odieux les uns aux autres. On ne savait point respecter profondément ce que l’on abhorrait le plus. La franchise de la foi inspirait la franchise des haines. Comment le catholique et le protestant auraient-ils vénéré l’un dans l’autre le culte de l’enfer ? Ces idées de nos jours hurlent avec le XVIe siècle. En rapprochant leurs églises, les hommes des Pays-Bas s’étaient placés au milieu de tentations de violence auxquelles il était impossible qu’ils résistassent. Bientôt ils s’aperçurent qu’en se réunissant, ils s’étaient trompés d’ennemis. Le véritable adversaire de chaque faction religieuse, c’était la religion opposée.

Dès qu’une religion était dominée par l’autre, elle réclamait la liberté. À peine l’avait-elle obtenue, elle prétendait à la domination : les catholiques parce qu’ils y étaient accoutumés, les protestans parce qu’ils n’avaient de sécurité que là où ils régnaient, et nul ne se contenta même de l’impunité.

On a vu que la violence seule fut en état d’extirper des provinces méridionales le germe du protestantisme : il serait plus facile de montrer que partout où le protestantisme a laissé la liberté à l’église ennemie, il n’a pas tardé à disparaître déshonoré. On a accusé d’intolérance l’Angleterre, la Hollande, la Suisse, l’Allemagne du XVIe siècle. Comment ne voit-on pas que l’intolérance était au fond de tous les cœurs ? La liberté de conscience, c’était l’utopie. Quiconque prit cette