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promis réciproquement l’impossible en s’engageant à respecter ce que l’on méprisait le plus. De toutes parts, l’union est rejetée par l’opinion avant de l’être officiellement dans les actes publics, et, comme il arrive après que l’on a tenté des rapprochemens de ce genre, on éprouvait les uns pour les autres un redoublement d’aversion. Il y avait cette différence dans la violence des uns et des autres, que chez les catholiques elle semblait une sorte de droit acquis par la possession, — chez les protestans une nouveauté qui en devenait plus impossible à supporter. Aussi les catholiques furent-ils les premiers à rompre une trêve abhorrée. Ils le firent dans l’acte de la confédération d’Arras, manifeste où respirent enfin librement les haines que Guillaume et Marnix avaient tenté d’assoupir. Comme il n’est rien de plus douloureux pour les hommes que d’être assujettis à des institutions ou à des idées qui leur sont supérieures, on voit par le langage des partis catholiques et protestans tout ce qu’ils avaient souffert moralement sous le règne passager des principes de tolérance auxquels n’avaient pu s’élever ni les uns ni les autres ; ils rentrèrent dans l’ancienne barbarie avec une sorte de volupté. Le signal est un redoublement de reproches et d’invectives.

À ce moment, les deux races se séparent avec éclat. Comme deux fleuves qui se touchent à leurs sources se dirigent pourtant vers deux mers opposées, ainsi les Hollandais et les Belges, qui se touchaient à leur berceau, se précipitent d’un cours égal, les uns dans la liberté, les autres dans la servitude. Et chacune de ces races éprouve au milieu de la misère publique cette paix et cette joie que l’on ressent toujours quand on rentre dans son caractère et dans sa nature propre. Les provinces wallonnes, le Brabant, l’Artois, le Hainaut, rentrent d’elles-mêmes dans le catholicisme, et, par une conséquence nécessaire, dans le sein de la monarchie espagnole. Le seul point par lequel elles tenaient à l’ordre nouveau était la réforme. Cet anneau rompu, elles retombent aussitôt dans l’ancien vasselage. La nationalité s’engloutit, mais l’orthodoxie est sauvée.

Ces provinces s’épuisent désormais à enchaîner de leurs chaînes leurs anciens alliés : elles redeviennent esclaves, mais du moins elles ne sont plus partagées entre deux directions contraires, — un reste de nationalité qui les pousse à l’indépendance, une église qui les ramène au joug. C’est une erreur de croire que la servitude soit toujours douloureuse pour les peuples. L’esprit de suite leur est tellement nécessaire, que la servitude leur devient douce quand tous les élémens sociaux concourent à cette servitude, et quand surtout la religion s’accorde avec elle et la décore. On voit alors peu à peu se produire dans l’état une sorte d’harmonie semblable à la mort, et les peuples goûtent l’esclavage sinon avec volupté, du moins sans douleur.