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allemande, en la mettant aux prises avec la superbe espagnole. C’était là le point sensible ; il irrita la plaie au point de faire bondir le taureau germanique :


« Il ne faut point, messieurs les Allemands, que vous vous représentiez autre chose, sinon qu’il est ici question de votre affaire, de votre salut, de votre dignité, puisque les étincelles d’un feu si voisin n’ont point seulement atteint vos frontières, mais que les flammèches ont déjà pénétré jusqu’au plus intime de vos entrailles.

« Et si quelqu’un estime, après que les Belges seront opprimés, que les Espagnols se tiendront oisifs, et qu’ils n’envahiront point l’Allemagne de leurs armes victorieuses, celui-là se trompe étrangement, car cette débordée et démesurée convoitise de tout dominer ne peut se réduire à de si étroites limites que la basse Allemagne. Ni l’ardeur bouillonnante et l’outrecuidance espagnole ne peuvent être enfermées entre les digues et les bornes des Pays-Bas, puisqu’à grand’peine tout le monde leur suffit, et qu’au fond du cœur ils ont déjà dévoré la monarchie universelle. »


Il concluait ainsi :


« Il appartient à votre piété, à votre fidélité, prudens, révérens, illustres, généreux et nobles personnages, de penser à bon escient et diligemment en vous-mêmes combien il importe à toute l’Allemagne que les Pays-Bas ne soient arrachés du saint empire, comme cela arrivera infailliblement, si vous ne sortez de votre torpeur. Les états-généraux des Pays-Bas vous prient derechef et supplient par ma bouche de ne pas permettre plus longtemps que ces étrangers, dont l’insolence et l’orgueil sont à bon droit haïs de tout l’univers, viennent planter leur domicile sur le seuil même de l’empire, sur les remparts mêmes et les boulevards de l’Allemagne, assiéger les bouches et les avenues du Rhin, de la Moselle et de la Meuse, occuper les ports et les havres de la mer océane pour vous travailler el vous perdre, ni dégainer leurs glaives et couteaux pour vous égorger, quand ils auront mis le joug de leur cruelle tyrannie sur le cou de vos amis et de vos alliés. »


Jamais la réforme n’avait été montrée ainsi dans ses conséquences politiques. On sentait l’agora et le forum. C’était la parole libre d’un état moderne qui, à peine né, se présentait à la barre du moyen âge. Cette harangue, prononcée en latin, presque aussitôt traduite en français par Marnix lui-même, eut un immense retentissement en Europe ; la prose ne suffisant pas à l’émotion qu’elle avait fait naître, on la traduisit en vers flamands. Le peuple l’apprit par cœur. C’était la profession de foi politique de la république qui venait de surgir.


IX

Les secours qu’Aldegonde obtint de l’Allemagne se réduisirent à quelques milliers d’hommes sous les ordres de l’électeur palatin. La