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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/746

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emploi à San-Carlo. « Barbaja, ajoutait l’aimable secrétaire, veut absolument ouvrir la saison d’automne par un ouvrage de vous et me charge de vous offrir deux cents napoléons, ce que vous ne dédaignerez pas, je suppose, surtout quand les circonstances nous rapprochent l’un de l’autre ; car j’aime à croire que vos récens triomphes n’ont point effacé chez vous tout souvenir de vos anciens amis, et que vous éprouvez le même désir de les retrouver qu’on en ressent ici de vous revoir. »

Rossini ne se le fit pas dire deux fois, et le 8 septembre 1817 il rentrait à Naples, où la Colbrand, toujours belle et toujours amoureuse, après l’avoir accueilli de la meilleure grâce dans ses petits appartemens, le ramenait de sa jolie main blanche au sultan Barbaja, qui, séance tenante, lui remettait un libretto dont le poème du Tasse avait fourni le sujet. Le chef-d’œuvre s’appelait Armide et dépassait en médiocrité tout ce qu’on est en droit d’attendre de ces sortes d’élucubrations. Rossini trouva pourtant moyen de placer là quelques morceaux remarquables, entre autres un ravissant duo pour voix de ténor et de soprano : Amor possente nume, que M. Beyle n’hésite pas à proclamer le plus célèbre de tous, et qui lui offre l’occasion d’appuyer sur un trait fort amusant que nous nous garderons d’omettre ici : « L’extrême volupté, qui aux dépens du sentiment fait souvent le fond des plus beaux airs de Rossini, est tellement frappante dans le duetto d’Armide, qu’un dimanche matin qu’il avait été exécuté d’une manière vraiment sublime au casino de Bologne, je vis les femmes embarrassées de le louer. » On a de tout temps beaucoup parlé du naturalisme de Rossini, mais on conviendra que voilà une remarque qui laisse bien loin tout ce qu’on a pu dire là-dessus. Se serait-on jamais douté que la musique puisse avoir de ces effets qui font monter le rouge au visage des femmes et les forcent à se voiler de l’éventail, ni plus ni moins que certains chefs-d’œuvre de l’art étrusque au musée de Naples ?

À l’opéra d’Armide succéda presque immédiatement l’oratorio de Mosè. Le style de Rossini, qui depuis Otello tendait à s’élever, allait cette fois grandir jusqu’à l’épopée biblique. Il s’en faut cependant que tout respire dans cette partition le caractère sublime qu’on y voudrait trouver ; les motifs de valse et les variations tant reprochés à l’auteur de la Gazza ladra par la critique milanaise y abondent encore, et trop souvent la phrase, simple et imposante au début, tourne à l’accent comique[1]. Ainsi ce fameux duo si applaudi jadis aux Italiens, et que Ribini et Tamburini, dans leurs belles soirées, enlevaient au milieu des trépignemens et des acclamations,

  1. Je citerai, pour prendre au hasard un exemple sur dix, le motif qui sert de conclusion à l’introduction, motif évidemment emprunté au terzetto de la Gazza et d’une expression très peu solennelle.