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il chantait chez le prince Metternich et le comte Nesselrode. Rossini, le véritable roi de ces fêtes musicales, où les empereurs assistaient, voulut témoigner aux souverains sa reconnaissance pour les gracieuses attentions dont il était l’objet, et composa une cantate en leur honneur : Il vero omaggio, qui fut exécutée au théâtre philharmonique par Velluti, Crivelli, Galli et la Tosi, alors dans la première fraîcheur de la voix et de la jeunesse. C’était une inspiration en manière de pastorale qui du reste avait dû ne lui coûter guère, car les personnes tant soit peu au courant de ses productions prétendirent saisir au passage diverses phrases de ses opéras cousues à la suite les unes des autres, ce qui fit dire aux mauvais plaisans que Rossini, en se donnant les airs de célébrer les puissans monarques, n’avait en somme célébré que sa propre paresse. On ajoutait que le cas était d’autant moins pardonnable, qu’il avait touché d’avance cent louis pour cette rapsodie. Nous aimerions, pour la dignité du grand maestro, à révoquer en doute ce fâcheux grief qui réduirait à de singulières proportions sa reconnaissance à l’égard des maîtres du monde ; malheureusement tout porte à croire que la chose était vraie et que Rossini s’était en effet rendu coupable de ce tour à la Mascarille, car on raconte qu’immédiatement après l’exécution de cette malencontreuse cantate, le rusé compositeur réclama sa partition, sous prétexte d’un arrangement quelconque, et qu’il s’esquiva le lendemain, emportant avec lui à Venise son manuscrit, qu’on n’a jamais revu.

Nous touchons à la Semiramide, le dernier opéra que Rossini ait écrit pour la scène italienne. Le 3 février 1823 fut représentée à la Fenice cette œuvre imposante et grandiose dans ses inégales dimensions et à laquelle cinq semaines de travail venaient de suffire. L’événement trompa toutes les espérances des amis de l’auteur. Le premier acte, qui dura plus de deux heures, endormit le public, qui ne se réveilla de sa torpeur que pour applaudir le finale. On trouva cette musique monotone, ennuyeuse, d’une longueur interminable ; ce fut un véritable fiasco. Et cependant combien d’admirables morceaux dans cet ouvrage, auquel il ne manque pour être un chef-d’œuvre qu’un peu de cet esprit de cohésion et d’ordre qu’on trouve chez les maîtres allemands[1] ! Que de profondeur dramatique et de terreur dans ces trois rôles de Sémiramis, d’Arsace et d’Assur, et comme, en dépit du fatras musical qui par instans les enveloppe, les caractères gardent jusqu’à la fin leur tragique empreinte ! Le finale du premier acte a sa place marquée parmi les plus solennelles

  1. C’est sans doute à ce mérite qu’il faut attribuer l’opinion très favorable qu’on professe encore de l’autre côté du Rhin pour la Sémiramis de Catel.