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vérité, je suis forcé de rappeler que Julie d’Étanges et Saint-Preux ont plus d’une fois rencontré l’accent de la vraie passion. Que la forme épistolaire choisie par l’auteur se prête malaisément à la rapidité du récit, que les redites soient nombreuses, cela n’est pas douteux ; que la seconde moitié de l’ouvrage tienne du prêche beaucoup plus que du roman, je le concède volontiers ; que dans la première partie même plusieurs lettres soient de véritables plaidoyers, je n’entends pas le contester. Pourtant avec tous ces élémens, si disparates qu’ils soient, on ne composera jamais « une œuvre de talent sans invention, » car l’invention, prise dans le sens poétique, ne consiste pas seulement dans le nombre et la variété des incidens. À cette condition vraiment, l’invention serait trop facile : tous les faiseurs de notre temps seraient supérieurs à Jean-Jacques Rousseau, et M. Villemain sans doute n’accepterait pas la conséquence d’un tel principe. N’est-ce donc pas inventer que de trouver dans l’analyse, dans le développement de la passion, des accens qui réveillent un écho dans tous les cœurs ? M. Villemain ne voudrait pas l’affirmer, et pourtant il ne voit dans la Nouvelle Héloïse qu’une œuvre de talent sans invention. J’aime à penser qu’en prononçant un tel arrêt il n’a obéi qu’à des scrupules exagérés ; il n’a pas cru pouvoir discuter en Sorbonne les mérites et les défauts d’une œuvre dont plusieurs parties lui semblaient trop profanes. C’est une excuse sans doute, mais ce n’est pas, à mes yeux du moins, une justification complète.

Les Confessions n’ont pas été jugées par lui aussi brièvement. Cependant elles n’occupent pas dans ses leçons toute la place qui leur appartient. Il ramène plusieurs fois le nom de cet ouvrage étrange où les pages les plus admirables sont trop souvent souillées de honteux détails : mais, à parler franchement, il n’a pas abordé le sujet. Il prodigue les citations de saint Augustin comme pour se dispenser de mettre en scène Mme de Warens et Mme d’Houdetot. Je ne conteste pas le mérite et l’intérêt des citations : seulement, et je l’avoue en toute franchise, j’aimerais mieux que cette ingénieuse érudition se montrât avec plus de réserve et laissât le champ libre au sujet principal, aux Confessions de Jean-Jacques Rousseau. Entre l’évêque d’Hippone et Le rêveur des Charmettes il n’y a pas de comparaison à établir. L’entretien, si touchant d’ailleurs, d’Augustin et de Monique n’est qu’une manière adroite d’éviter les périls de la discussion.

L’Emile seul a trouvé dans M. Villemain un juge décidé à traiter la plupart des questions qu’il soulève ; je dis la plupart, car elles ne sont pas toutes abordées. Je reconnais pourtant que les plus importantes sont clairement posées, clairement résolues. Les soins dus à la première enfance, la profession de foi du vicaire savoyard, la pudeur, le plus bel ornement de la beauté, ont inspiré à M. Villemain