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près. Ainsi M. Edwards a distingué en France les anciens Galls des Kimris ; il a retrouvé dans l’armée autrichienne des Huns assez nombreux. Pour qu’un type disparut tout à fait, il faudrait que deux races fussent mélangées à parties égales, et que les métis pussent s’unir tous entre eux. Or ce cas ne s’est probablement jamais présenté. Un peuple qui en subjugue un autre n’envoie à la conquête qu’une partie de ses enfans, le gros de la nation reste chez lui sans être exposé au mélange. Les vainqueurs sont d’ordinaire peu nombreux par rapport aux vaincus. Pour l’histoire, lorsqu’un peuple a été conquis, lorsqu’il a perdu son indépendance, il a cessé d’exister, et dans ces révolutions politiques comme dans les bouleversemens de l’ancien monde, on croirait que chaque époque désastreuse a fait disparaître les races qui avaient subsisté jusqu’alors. Pour la physiologie, il n’en est pas de même : les vainqueurs se mêlent aux vaincus ; ce nouveau sang, en général d’une nature supérieure, vivifie celui du peuple, conquis, et, en lui apportant de nouveaux élémens, lui apporte aussi de nouvelles tendances, une nouvelle politique. Bientôt, la masse des vainqueurs étant proportionnellement fort petite, le sang ainsi apporté est absorbé, il disparaît, et le peuple, vaincu reprend sa nature primitive, si d’autres causes ne viennent la modifier. Dans un ouvrage[1] plein de sagacité et d’instruction, un écrivain a naguère attribué à ce mélange et à cette absorption des races, à ces changemens qui se passent dans la nature intime, dans l’organisation des peuples, les principales variations de leurs institutions et de leur politique.

Nous avons exposé à peu près tous les argumens des unitaires. S’ils ne paraissent pas suffisans pour ruiner la doctrine de la diversité des espèces humaines, il faut avouer aussi que cette dernière n’est pas elle-même rigoureusement démontrée. On l’appuie d’un assez grand nombre d’argumens négatifs, mais c’est tout. Avant de passer en revue quelques dernières raisons que l’on peut donner en sa faveur, indiquons quelques curieuses théories inventées dans l’hypothèse d’un couple unique, souche de tous les hommes, et recherchons la structure, la forme, la couleur que l’on a attribuées au premier homme. Au premier abord, il semble qu’Adam dût être paré de toutes les qualités physiques et morales dont s’enorgueillissent les races supérieures, et appartenir à l’espèce que nous considérons comme la première de toutes par la beauté de ses formes et la grandeur de son intelligence. L’Apollon du Belvédère nous paraîtrait à peine assez beau pour avoir servi de père à tous les hommes. Cependant un naturaliste, convenant que jamais les climats ni les accidens de l’organisation n’ont fait un nègre d’un blanc, a pensé qu’il est plus facile de passer de la couleur noire à la couleur blanche, et a fait d’Adam un nègre d’Abyssinie. M. Prichard a, je crois, le premier émis cette opinion. Suivant lui, l’homme à l’état sauvage est naturellement noir ; c’est la civilisation qui le fait blanchir. Plus un homme est civilisé, plus sa couleur est claire. Ainsi la plupart des peuples sauvages sont bruns ou noirs ; les peuples civilisés au contraire sont jaunes ou blancs. Dans un même peuple,

  1. Essai sur l’Inégalité des Races Humaines, par M. A. de Gobineau ; 2 vol. in-8o. Firmin Didot, 1853.