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dresser devant elle quelque chose de plus formidable encore que l’année 1812. La mission du comte Orlof a détruit les dernières illusions. La Russie est de nouveau seule en face de toute une Europe ennemie, car la prétendue neutralité de l’Autriche et de la Prusse n’est qu’un acheminement à une hostilité déclarée. Il ne pouvait guère en être autrement : il n’y avait que les niais ou les traîtres qui n’eussent point prévu cela. Les deux puissances allemandes, à part même l’antipathie de race, ont depuis quarante ans contracté trop d’obligations envers la Russie pour n’être pas impatientes de s’en venger. Voilà quarante ans que la Russie les oblige à vivre en paix entre elles, et à ne pas livrer l’Allemagne, par leurs dissensions, comme une proie assurée à la révolution intérieure et à l’invasion étrangère.

« C’est là au fond leur véritable grief contre nous. Je sais bien que, dans la disposition actuelle des esprits en Allemagne, on se donne assez le change a soi-même pour se persuader qu’en brisant, comme elles vont le faire, l’alliance de 1813, les deux puissances allemandes font acte de courage et de patriotisme. Ce n’est qu’un mensonge de plus à ajouter à tant d’autres mensonges. Cette défection, par laquelle elles prétendent assurer l’indépendance de l’Allemagne, n’est qu’un premier acte de soumission à l’ascendant révolutionnaire de la France. C’est une inspiration de lâcheté avec toutes sortes d’arrière-pensées de trahison intérieure et réciproque. »


Nous ne nous arrêterons point à justifier la politique de l’Autriche contre ces injurieuses accusations ; nous ne les avons reproduites que pour indiquer le ton et l’accent que prit le ressentiment du gouvernement russe à la nouvelle de son échec.

Cependant le comte Orlof emportait de Vienne une suprême et fragile chance de paix. Dans son dernier entretien avec l’envoyé russe, M. de Buol, sans se commettre dans aucune proposition officielle, lui avait suggéré comme une idée toute personnelle le plan suivant. Le cabinet de Saint-Pétersbourg, éclairé par l’accueil fait à ses contre-propositions, enverrait à Vienne des préliminaires de paix fondés sur les propositions du 13 janvier. Pour éviter toute perte de temps, l’envoyé de Russie serait autorisé à y introduire, séance tenante, les modifications reconnues nécessaires par la conférence à laquelle ce travail serait soumis ; l’acceptation de ces préliminaires par la Porte serait le signal d’un armistice que les généraux russes seraient autorisés d’avance à conclure avec les commandans des forces turques. Dès que la Russie apprendrait l’acceptation de ces préliminaires à Constantinople, elle évacuerait les principautés, et les flottes combinées quitteraient la Mer-Noire. Il ne resterait plus alors qu’à fixer le lieu où se réuniraient les deux plénipotentiaires de la Porte et de la Russie, pour y procéder à la conclusion et à la signature d’un traité de paix.

Tel était le dernier fil auquel tenait encore ce que nous appellerons la politique des négociations. La politique de l’action avait pendant