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à demander au congrès ; aucune considération d’intérêt particulier ne devait donc y gêner son action, il n’avait à s’y préoccuper que d’intérêts généraux, et il dépendait de lui de faire pencher la balance dans le sens qui lui conviendrait le mieux.

Entre la Russie et la Prusse d’une part ; l’Autriche et l’Angleterre de l’autre, quel parti prendrait-il ? Il semblerait, au premier aspect, que son choix ne pût être douteux. L’empereur de Russie était, parmi les alliés, celui qui avait contribué de la manière la plus décisive à la chute de Napoléon et à la restauration de la maison de Bourbon ; il avait constamment témoigné les sentimens les plus bienveillans pour la France, et l’empressement qu’il avait mis, qu’il mettait encore à rechercher pour une de ses sœurs l’alliance d’un prince français, prouvait assez que ses dispositions n’avaient pas changé. Rien ne semblait donc s’opposer à ce que la France favorisât les projets de l’empereur, et peut-être, en lui prêtant un appui qui eût rendu toute opposition impuissante, pouvait-elle se flatter de l’espoir d’obtenir, dans l’arrangement général des affaires de l’Europe, quelque dédommagement pour les pertes que lui avait infligées la paix de Paris. Il est d’ailleurs à remarquer que ces projets rentraient, à quelques égards, dans ce qu’on pouvait considérer comme les convenances particulières de la France. Les Polonais avaient été nos fidèles alliés pendant vingt ans de guerre, et des arrangemens dont le résultat semblait leur rendre une nationalité, une organisation politique, ne pouvaient contrarier le sentiment populaire, qui dès lors leur était si favorable parmi nous. Quant au roi de Saxe, transféré dans les provinces rhénanes comme le voulaient les cabinets de Russie et de Prusse, il y serait presque nécessairement devenu le protégé, l’allié de la France ; il eût grandement augmenté notre influence dans cette partie de l’Europe, et cette considération, qui n’échappait pas à la sagacité jalouse de lord Castlereagh, n’était pas une de ses moindres objections contre le plan des cours du Nord. Il lui convenait beaucoup mieux que les provinces du Rhin, détachées du territoire français par le traité de Paris, devinssent la propriété de la Prusse, parce qu’il savait bien que la contiguïté de deux grands états est un puissant obstacle à leur bon accord, et qu’il importait aux vues de l’Angleterre que les relations des cours de Paris et de Berlin ne pussent jamais prendre un caractère trop intime. L’établissement de la domination prussienne dans ces contrées lui paraissait d’ailleurs, comme il l’écrivait au duc de Wellington, une garantie contre la pensée systématique de la France de reprendre la Belgique et la rive gauche du Rhin, pensée qui, en dépit des intentions actuelles de son gouvernement, devait renaître toutes les fois que les circonstances en favoriseraient l’accomplissement.