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de telles préventions. M. de Talleyrand, trop soigneux de ménager et d’affermir son crédit dans la nouvelle cour pour se hasarder à contrarier sans une nécessité absolue ses préjugés et ses penchans, restait d’ailleurs fidèle à ses vieilles prédilections en poussant la France à l’alliance anglaise. Cette alliance avait été le rêve de sa jeunesse, et il lui était réservé de la réaliser à la fin de sa vie après l’avoir en quelque sorte ébauchée à l’époque dont j’esquisse en ce moment le tableau. Enfin, ce qui justifiait jusqu’à un certain point le système vers lequel penchait alors le gouvernement français, c’est que ce système était le seul qui pût le mettre en mesure d’atteindre les deux grands buts qu’il avait en vue dans les négociations de Vienne, — le rétablissement des Bourbons de Sicile sur le trône de Naples et le maintien du roi de Saxe, uni de très près par les liens du sang à la maison de France : pour sauver le roi de Saxe, il fallait nécessairement se mettre en lutte ouverte avec la Russie et la Prusse, et le concours ou du moins l’assentiment de l’Angleterre et de l’Autriche était indispensable pour renverser Murat.

Le cabinet des Tuileries se montrait donc disposé à concerter son action avec celle de l’Angleterre, et M. de Talleyrand prit même à cet égard l’initiative. Le gouvernement britannique ne pouvait manquer de se prêter à ces avances. On se tromperait pourtant si l’on pensait qu’il y porta de prime-abord un très grand empressement. Comme l’explique très bien une longue dépêche de lord Castlereagh au duc de Wellington, c’est pour ainsi dire en désespoir de cause qu’il se résigna à ce moyen d’opposer aux exigences ambitieuses de la Russie des obstacles suffisamment efficaces ; il eût préféré, pour contenir à la fois, au besoin, la France et la Russie, une ligue intermédiaire formée de l’Autriche, de la Prusse, des états secondaires de l’Allemagne et des Pays-Bas avec l’appui de l’Angleterre. Le cabinet de Berlin n’ayant pas voulu se séparer de celui de Saint-Pétersbourg, il avait bien fallu accepter, rechercher même le concours de la France ; « mais, disait lord Castlereagh, c’est affaire de nécessité et non de choix. Ce système prête à de très fortes objections, particulièrement au point de vue des intérêts anglais. En premier lieu, il semble difficile de le cimenter solidement, à raison de la jalousie fondamentale qui existe entre l’Autriche et la France, surtout par rapport à la prépondérance en Italie… Il rend les Pays-Bas dépendans pour leur sûreté de l’appui du gouvernement français, au lieu d’avoir à compter sur la Prusse et sur les états de l’Allemagne septentrionale, leurs défenseurs naturels. Enfin il a cet inconvénient, qu’en cas de guerre tous les territoires récemment cédés par la France, devenant probablement le théâtre des hostilités, seraient occupés par ses armées. » De ces considérations, lord Castlereagh tirait la conséquence que