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l’immense majorité d’un peuple, suffisent pour rendre possible le triomphe d’une minorité résolue.

Le duc de Wellington ne tarda pas à s’émouvoir d’une pareille situation. Dès le 8 septembre 1814, bien que les acclamations des soldats et de la populace aux jours de revue lui fissent encore illusion sur la popularité du roi, il écrivait à lord Castlereagh que « le cabinet ne lui paraissait pas agir sur le principe d’une administration unie et solidaire, qu’il en résultait des délais, des difficultés dans l’expédition des affaires, et quelquefois même de l’inconséquence dans la marche du gouvernement. » Quelques semaines après, le 13 octobre, son langage était devenu plus alarmant.


« Quoique la ville de Paris, disait-il, jouisse d’une tranquillité parfaite, il y a dans presque tous les esprits un grand fonds d’anxiété et de malaise. Malgré l’arrestation des imprimeurs des libelles récemment publiés et la saisie de leurs presses,… ces libelles ont été mis en circulation avec une activité surprenante, surtout dans l’armée… Jusque dans le sein du parti constitutionnel, parmi les hommes les mieux disposés à l’égard du roi, on a conçu la crainte que sa majesté n’ait l’intention de saisir la première occasion d’essayer de gouverner sans la législature, et ceux des membres de l’administration qui sont rentrés en France avec la famille royale, ou dont on connaît l’attachement aux anciennes formes et à l’ancien système du gouvernement, sont vus par les autres avec une extrême défiance. C’est à cette circonstance et à l’ignorance générale ici du système d’après lequel doit être conduit un gouvernement responsable qu’il faut attribuer l’apparence et, dans quelques cas, la réalité de ce caractère de désaccord, de lenteur et d’inconséquence dont sont empreints les actes du pouvoir. »


Le 26 novembre, l’illustre ambassadeur, répondant à une lettre du vieux Dumouriez, retiré depuis longtemps en Angleterre, et avec qui il entretenait des communications assez fréquentes, s’exprimait en ces termes sur les causes du déplorable état de la France : « Ce qu’il y a de pis, ce sont[1] le mécontentement général et la pauvreté universelle. Cette malheureuse révolution et ses suites ont ruiné le pays de fond en comble. Tout le monde est pauvre, tous doivent donc viser à remplir des emplois publics. » Le 5 décembre, le duc écrivait à lord Castlereagh :


« Le roi et la famille royale se sont rendus à l’Odéon mercredi dernier, quoique sa majesté, avant de quitter son palais, eût reçu l’avis qu’il y avait un complot dirigé par plusieurs généraux pour attaquer sa personne. Le roi était accompagné de Monsieur, de la duchesse d’Angoulême et du duc de Berry… Il avait laissé le soin des arrangemens à prendre pour sa sûreté au capitaine des gardes de service, le maréchal Marmont, qui mit sous les armes quatre mille hommes de la garnison de Paris. Le rapport fait au roi n’avait pas le

  1. L’original de cette lettre est en français.