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de granit en songeant qu’une brèche de trente pieds fut faite par trois canons en six heures. Le feu des Russes tua M. Wrottesley, officier du génie ; mais, avant le soir, la tour était occupée par les soldats de la marine anglaise. Ils y avaient trouvé huit morts et vingt blessés, et avaient fait un nombre assez considérable de prisonniers.

Pendant cette affaire, la forteresse elle-même avait été attaquée par les vaisseaux de ligne anglais l’Edinburgh, l’Ajax, le Blenheim elle La Hogue, et par les navires français le Trident et le Duperré. Peut-être est-ce le même jour que la tour orientale avait été prise. Ce qui semble certain, c’est qu’on avait, dès la première attaque, jeté des soldats dans cette île de Præstoe, afin de couper aux assiégés une retraite à travers des golfes impraticables. C’est le mercredi 16 que les navires alliés livrèrent contre la forteresse le dernier combat. Le Duperré et l’Edinburgh (capitaine Chads) se distinguèrent surtout. Pendant l’action, on vit tout à coup la grosse tour occidentale, située sur une hauteur, sauter en l’air et s’écrouler à moitié en blessant à mort deux soldats français ; les différens témoignages ne s’accordent pas sur les causes de cet accident. Vers deux heures de l’après-midi, la garnison de la citadelle fit flotter un pavillon blanc du côté de la mer. Pendant que les batteries de terre continuaient le combat, ne s’étant pas aperçues que les navires cessaient leur feu, l’amiral Parseval-Deschênes et sir Charles Napier députèrent aux assiégés M. le capitaine de Surville, aide de camp de l’amiral, et un officier anglais. L’officier russe qui les reçut leur dit ces seuls mots : « Nous nous rendons à la marine, » et le capitaine de Surville monta avec ceux qui l’accompagnaient pour planter les pavillons alliés sur la forteresse. Les Russes n’avaient, assure-t-on, que quelques morts et à peine soixante-dix blessés ; mais la fumée qui remplissait les casemates, les bombes qui venaient éclater au milieu de la forteresse, enfin le feu incessant des tirailleurs, les avaient réduits à une, complète impuissance. Bomarsund et ses ouvrages extérieurs étaient au pouvoir des alliés.

Dès le lendemain 17, près de deux mille prisonniers, Finnois, Cosaques et Russes, étaient à bord du Royal William et du Saint-Vincent, et partaient pour la France et l’Angleterre. Le gouverneur, à bord du Fulton, était dirigé sur Dantzig, pour se rendre de là directement à Paris. Les Français n’avaient eu, assurait-on, que quarante morts ou blessés, les Anglais quatre morts et douze blessés. On n’avait vu d’ailleurs résister très hardiment, du côté des Russes, que le capitaine Tesch, qui défendait la tour occidentale, et le capitaine Jaquelin, qui commandait la garnison de Praestoe ; le premier est Suédois et le second Français d’origine. Ce dernier surtout avait refusé de se rendre en dépit des ordres réitérés du général Bodisco, et n’avait cédé qu’aux baïonnettes. Le régiment de tirailleurs finnois qui se trouvait dans la citadelle avait voulu résister malgré la capitulation, et n’avait rendu ses armes qu’après les avoir brisées. Les autres soldats, les vrais Russes, avaient montré beaucoup d’indifférence ; quelques-uns dansaient gaiement au son de notre musique militaire qui chantait la victoire. Le principal résultat de cette journée était l’expérience désormais acquise que le granit ne résisterait pas aux canons de dix pouces du capitaine Pelham.