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âme immortelle. Je veux dire seulement que, lorsque toutes les autres éducations semblent avoir atteint leur but, parce que leur but est dans le monde, l’éducation qui doit nous préparer au ciel continue, parce que son but étant hors de la vie, elle ne doit point s’arrêter dans le temps, allant, comme elle le fait, vers l’éternité.

Et voyez comme tout s’enchaîne heureusement dans le monde moral ! comme toutes nos obligations se soutiennent et s’aident mutuellement ! La vie domestique, tout humble qu’elle est, nous prépare à la vie céleste. Ces devoirs de fils, d’époux et de père, si affectueux et si doux, élèvent l’âme et la mûrissent pour le ciel. Enfant, le devoir vous prend par la voix persuasive de votre mère, et il vous dit d’aimer et de respecter : l’amour et le respect, ces deux bons sentimens de l’humanité qui se proportionnent à chacun de nos âges, qui sont doux et naïfs dans l’enfant, ardens et graves dans le jeune homme, fermes dans l’homme mûr, pieux dans le vieillard et disposés à se tourner de plus en plus vers Dieu, sans renoncer à ce qui est sur la terre l’objet de nos affections. Ainsi pendant toute la vie le devoir est notre compagnon fidèle, compagnon un peu grave, mais qui soutient l’âme et qui jamais ne nous laisse en chemin. Ainsi notre vie est pleine d’obligations qui s’échelonnent en s’élevant chaque jour davantage. Non, ce n’est pas seulement dans la vision de Jacob qu’il y a une mystérieuse échelle qui va de la terre au ciel, et dont les anges descendent et montent les degrés. Cette mystérieuse échelle est dans la vie de chacun de nous, et chacun de nos âges a son ange gardien qui nous soutient sur l’échelon que nous montons : l’ange de l’enfance, le plus près de la terre et qui joue avec les fleurs du gazon, doux et pur comme les caresses d’une mère ou les baisers d’une sœur ; l’ange de la jeunesse, si gracieux et si beau tant que le chagrin des fautes qu’il nous voit faire n’a pas voilé son front ; celui de l’âge mûr, sévère et ferme, qui nous fait quitter l’espérance pour nous mener à la vérité ; celui de la vieillesse enfin, qui dans ses regards a la douceur des longues années et la vigueur de l’éternité, calme et serein, assis au dernier échelon de l’échelle et le plus près du ciel, pour nous accueillir et nous encourager à franchir avec joie le dernier degré.

L’idée qu’il y a une éducation pour chaque âge de la vie, voilà donc la seconde raison qui me fait aimer l’Émile, et ce qui m’en fait, croire l’examen salutaire, dussions-nous critiquer souvent les principes que Rousseau veut appliquer à cette éducation progressive de l’homme.


I

Avant de commencer cet examen, je veux rechercher dans la vie et dans les ouvrages de Rousseau comment il s’était occupé jusque-